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Huitième journal

En feuilletant mes anciens journaux

En feuilletant mes anciens journaux j’ai observé :

1944 – 1947

10 13 ans

Enfant

1

La guerre, Kolozsvàr, Algyögy – Le pays des fées.

1948 – 1950

14 – 16

Premiers pas

2

Autobiographie, Emery, Articles de journaux. Edith. Bucarest. La Jeune Garde. Je deviens membre de l’Union pour la Jeunesse Ouvrière.

1950 – 1953

16 – 20

Transformations

3

Autobiographie. Usine. Plans. Débuts de raisonnements. Staline, mort ! ?

1954 – 1956

20 – 23

4 et 5

Les premiers pas hors de l’école : dans l’école de la vie.

Musique, poèmes, je commence à me découvrir. Excursions. Le printemps Bert, le premier me courtiser : le croire ?

Théâtre, université. Révolution hongroise. Illés.

J’ai de la société enfin. Eugène et le premier baiser.

1957 mai à juin

23 ans

6

La lutte entre passion et raison. Simon. Les premières étreintes. « J’ai cru, moi aussi » (fini)

1957

23 ans

7

Simon et les conseils d’Ovide. Vacance et excursion. Retour, de nouveau avec lui. Examens.

Maintenant

(complété plus tard)

8

Sandou et après… ?

Je suis élève d'Ovide

À 20 h
Je suis l’élève d'Ovide. Il dit : "ce n’est pas un péché de rendre tromperie pour tromperie, mensonge pour mensonge." Dorénavant, je l'écouterai.

Simon me fait téléphoner -un samedi soir à 7 h - et encore par son petit frère, qu'il se sent mal et qu’il va rendre visite à son oncle. Très bien. Moi aussi je sais mentir, s'il s'agit de cela. Je n’ai pas encore commencé, mais si je commence ! Ce n'est même pas la peine d’ailleurs, il suffit de me taire. J'ai même de la chance. Non seulement des copines passeront ce soir (déjà intéressant), mais Eugène vient m’appeler et il passera aussi. Demain, j’irai à l’anniversaire d’Alina avec Eugène, s'il le veut. Chez elle, je flirterai avec le premier qui me plaira tant soit peu. C'est bon d'avoir toujours un garçon à la portée, plusieurs autour de moi.

Il est seulement dommage d'avoir heurté Sandou (ce n’était pas exprès) il est un brave garçon sympathique. Par contre, je ne regrette pas mon comportement envers Bandi, il était franchement dégoûtant à notre dernière excursion, il avait tellement peur d'avancer, il a fallu que je le tire presque pour en sortir. Je n’avais jamais pas vu quelqu’un se décomposer ainsi !
Il faudra que je me cherche quelqu’un de nouveau, il le faut.

J'irai voir l'ami de ma tante dont elle m'a tant parlé, mais d’abord, je dois terminer mes examens : je m’y mets. Et je ne romprai pas avec Simon, pourquoi le ferais-je ? Quand il sera en deuxième position, je le lui dirai – à ce moment-là. Mais jusqu'alors, pas question ! Même alors, seulement parce que je ne me laisse pas embrasser par deux garçons à la fois. Ou l’un - ou l’autre !? (Au moins pour le moment).

Maman se sent mal, ses nerfs lâchent. Je devrais aller parler avec le docteur. Aussitôt après mon examen, j’y vais.

19 octobre 1957 Début de "rompre est difficile"

Je me suis difficilement décidée à écrire dans ce cahier, il ressemble trop aux cahiers d'école. Au moins, s’il était sans lignes ! Je sens trop l’ordre, la régularité, l'encadrement. Mais je m’habituerai.

Y a-t-il une différence entre écrire dans un beau cahier et dans un moche ? Hélas, un peu. Mais je ne m'arrêterais pas d'écrire uniquement à cause d’un cahier inadéquat. C'est si bon d’exprimer mes pensées. Comme si je pouvais même mieux penser. Arrivé, peut-être, à cause de ma façon d’étudier. Mais c'est arrivé.

Oh, comme ce cahier me gêne !

J'ai un tas de problèmes urgents, je les décrirai, mais d'abord je ferais un bilan. Il me montre que ceux qui disent que je suis en retard d’au moins quatre ou cinq ans ont raison, hélas. Mon seul espoir est que ce n’est pas dans tous les domaines. En plus, je parais plus jeune (ce n’est pas si mal) et, je finirai mes études universitaires l'année prochaine.

Des fois je me sens très près de Simon, d'autres fois horriblement loin. Comme aujourd’hui.
Il vient de me dire une grande vérité : "Pilu n’avait pas l'habitude, par contre je suis expérimenté". Il me l’a dit, après que je lui ai fait remarquer qu’Anca était l'amante de Pilu - et pas de lui. Il ne comprend pas. La différence est là, bien sûr. Anca et moi, on se ressemble. Bien sûr, elle a préféré le garçon qui n'avait pas eu de nombreuses liaisons et d’innombrables amantes, qui ne sait pas encore ‘tout’ ; par contre il est un garçon honnête, sérieux et il l'aime profondément. Simon a déjà été avec plusieurs, ses succès l’ont rendu orgueilleux et en plus, il n'est pas assez sérieux, ni assez honnête. Anca a dit à son père “en réalité, c’est comme si nous étions déjà mariés ”. Voilà, pourquoi je ne deviendrai pas l’amante de Simon, : je ne me marierai jamais avec lui.

Que Dieu m’en préserve ! Je me rendrais malheureuse pour toute ma vie. Sans parler du fait que je ne l'aime pas tant que ça, surtout à cause de son manque de sérieux. Je n’arrive pas à avoir confiance en lui.

Je viens de comprendre : probablement je suis aussi réfléchie et froide parce que je vois devant moi une épouse souffrante, déchirée et (presque) abandonnée[1]. Est‑ce bien ou pas d’être réfléchi et froid ? ou est-ce seulement un masque et en réalité je suis différente ? Suis‑je devenue véritablement ainsi ? Qui sait.
[1] Ma mère

Transmettre

20 octobre 1957
Quand il a appris que je suis allée seule en excursion cet été, Nuszi, (le cousin de maman), m’a dit quelque chose de fort intéressant :

« L'homme doit transmettre ses sensations de la beauté de la nature. S'il est écrivain, il les décrit, alors il peut voyager seul, sinon il doit les raconter à quelqu’un, c’est pour cela qu’il ne doit pas y aller seul. Si on ne la partage pas, l'impression se perd, pâlit. »

Je ne sais pas s'il en est vraiment ainsi, mais j'ai décrit mes pérégrinations parce que j'ai senti le besoin de le faire. Bien sûr, j’ai eu aussi de la compagnie. J’ai vu chez eux, à la télévision, une émission amusante et intéressante : "Les Heureux Voyageurs ”. Une très bonne idée ! Je viens de regarder la télévision pour la deuxième fois dans ma vie, mais c’est pour la première fois que j’y vois quelque chose qui me plaise.

Domine-toi

22 octobre 1957

Domine-toi, reste tranquille ! C'est très important. Ne t’énerve pas, ne sois pas trop sensible, ne t'occupe pas de ce qui ne te regarde pas, il faut l’apprendre. Je suis déjà arrivée assez loin dans ce domaine.

J'ai déjà passé deux examens avec "très bien" et "bien". J'ai encore un dernier dans une semaine, le plus difficile, et la cinquième année sera finie !

Maman se sent mal. Je dois m'occuper d’elle. J'ai demandé à Alina l'adresse d'un docteur, j’enverrai maman chez lui, puis j’irai me renseigner sur l’opinion du docteur pour savoir que se passe-t-il et ce qu’on peut faire. Parler ensuite avec maman (tactique). Puis discuter avec papa sur ses responsabilités. Mais surtout, ne pas m’énerver ! Se dominer.

La voisine laisse hurler sa radio tard le soir (aussi fort que maman pendant l’après-midi).
Cette nuit, maman a commencé à se disputer avec papa. Vers deux heures, nous avons changé de place, je me suis couchée à côté d’elle, et papa dans ma chambre. J’ai réussi à me rendormir finalement, mais difficilement. L’important est la tranquillité ! L’esprit clair. Même mes règles ont dû arriver justement. Cela ne fait rien.

Combien j'ai changé ! De ce point de vue, à mon avantage : je sais prendre ce qui arrive avec plus de tranquillité (et je suis devenue nettement plus pondérée.)

Bon, assez de pause : étudier !

Enfuir ses sentiments?

25 oct. 1957

D. est passé hier chez moi, nous avons parlé de tout. Entre autres, il m’a dit : “Quand un homme aime, il veut prouver qui il est, il lutte, il travaille mieux ou écrit mieux. La femme, quand elle aime, essaie de s'adapter à l'homme.” C'est peut être vrai, hélas !?

26 oct. 1957

Je viens de réaliser depuis quand j'ai appris à enfouir mes sentiments. L’année dernière, quand maman se sentit mal, une fois, j'ai eu moi aussi, presque, une crise nerveuse. Depuis, je m’éduque lentement. Hélas, cela a influencé d’autres choses, mais tant pis (ou tant mieux ?).
En regardant dehors : qu’ils sont beaux les nuages, le ciel est bleu clair, moitié ensoleillé, moitié ombré, les feuilles sont d’un jaune verdâtre et il y a un grand silence.

Demain j’ai un examen, comment le réussirai-je ? Je dois y être très tôt. Á la fin de la semaine, j'irai en excursion, je l'attends avec impatience. Se trouver dehors, au sommet des montagnes, est mon désir ardent aujourd’hui. Bientôt j'y serai.

30 octobre 1957
J'ai terminé tous mes examens du dernier semestre. Bien sûr, je devrai recommencer à étudier, à préparer les suivants. Je vais m’y mettre bientôt. J’ai passé bien deux, ceux que j'ai voulu passer absolument. En réalité, j'aurais déjà dû m’y présenter cet été. Tant pis, l'important est qu’ils sont derrière moi.

Pour le troisième examen, le plus difficile (les Matières Plastiques) j'ai étudié le plus - et je ne l'ai pas réussi. Est-ce parce que je ne l'ai pas voulu assez fort ? Je n'ai pas répondu aux questions. Je le préparerai avec plaisir encore une fois. Je serais très malheureuse seulement si je le ratais encore une fois. Je dois la recommencer très sérieusement, en détail avec patience.

La plupart du temps, la réussite dépend beaucoup de volonté. Si tu y vas avec l’idée qu’il faut absolument vaincre, tu as déjà fait les trois quarts du chemin. Si tu y vas te sentant battu d’avance, tu as déjà perdu. Mais cet examen-ci, je ne le regrette pas, l’échec me servira. Quand j'ai dû repasser la Géométrie Descriptive, j'ai mieux appris le dessin industriel.

Et je ne l'ai pas regretté. Celui-ci, non plus.

31 octobre
Que dois-je faire ? (réalisé)
  • Me faire bronzer aux ultravioletts
  • Demander des conseils cosmétiques

  • Prendre mon costume trois pièces

  • Parler avec le directeur de l’Institut, lundi

  • Que reste-t-il encore ?

  • Aller chez le coiffeur : une belle coiffure

  • Bien dormir et enfin longtemps

  • Aider maman à se faire pensionner

  • Aller au théâtre ou au cinéma

  • Essayer d’arranger le problème d’Université

Axiomes de ma vie?

23 octobre 1957

En écrivant cette date, je me rends compte que c’était il y a juste une année... Nous ne l’avions pas encore appris, on l'a su seulement deux jours plus tard. La révolution hongroise.

En réalité, j'ai voulu parler d’autre chose. À la radio, on a interviewé plusieurs “personnalités” en leur demandant, entre autres: "Vous vivez selon quel axiome ?" Cette question m’a fait réfléchir.

Est-ce que j'ai un fil conducteur? Je n'en ai pas un, mais plusieurs.

Le premier, je l'ai appris de mon arrière grand-mère (Paula) et je l'utilise avec succès chaque fois que je le peux : cherche le bon en tout (même dans les choses désagréables.) Par exemple hier, quand j'ai dû aller à l’hôpital voir maman (1 h aller, attente, 1h retour) je me suis réjouie que le tramway 21 passe tout près de chez nous.

Le deuxième axiome est : si tu as quelque chose de désagréable devant toi, essaie d’y passer rapidement. Je m’y mets et alors elle se termine plus vite. En plus, la plupart du temps, il s’avère que le diable n'était pas aussi noir qu'on le craignait. Et puis, même s'il l’est, au moins, c’est passé. À cause de cette raison, je suis allée aujourd’hui plus tôt à l'Institut.

Une autre : sois toujours optimiste - aussi longtemps que tu peux ; et aussi : sois contente avec ce que tu as et de la façon dont tu vis. Je ne sais pas si cette dernière règle est bonne.
Est-ce bon que je ne me soucie pas encore de ce qui arrivera quand je terminerai mes études ? Que je n'essaie pas sérieusement de chercher un mari? en me disant qu’il apparaîtra tout seul un jour. Mais ainsi, je suis plus tranquille.

L'important maintenant est de finir mes études, ça s’est sûr. Je trouverai ensuite un autre but, parce qu’on a besoin d’en avoir. Il faut absolument et rapidement guérir maman, c’est essentiel. Mais la crise vient de passer, elle se sent nettement mieux. Il lui faudra une occupation, mais quoi?

2 novembre 1957, samedi de nouveau

Un nouveau samedi. Je n'ai pas voulu faire de projets avec Simon pour aujourd’hui, je savais que depuis un temps nos projets du samedi n’aboutissaient pas. J'aurais voulu rencontrer quelqu’un d’autre. Il voulait coûte que coûte qu’on fixe un rendez-vous, et bien sûr, il s'avère une fois de plus que c’était seulement pour détruire ma soirée.

Il m’avait dit que nous allions sortir avec ses copains ou éventuellement, ils viendront chez moi, il m’a affirmé, Gregore sera du nombre et il m’a suggéré donc d’inviter Édith aussi. Ce soir à sept heures, il me téléphone. Soi-disant, il doit aider son oncle pendant deux heures, il lui avait promis. Il ne pourrait venir avant neuf heures, mais il me rappellera. Est-ce vrai ? C'est tout à fait possible qu’il dise demain ”c’était trop tard et je ne voulais pas te déranger”.

Je viens d'appeler les garçons. Lonci, (son meilleur ami) était chez lui, mais il n'avait pas envie de passer, il discutera avec Marcel (qui lui était en train de prendre un bain). Édith dit qu’elle ne viendra pas tant que les garçons ne seront pas ici. Je m’étais préparée à avoir de la compagnie, il sera impossible que cela se réalise, que je me sente bien. Je resterai sûrement seule, ce soir encore, toute préparée, coiffée, bronzée. Si cela arrive, je promets que Simon ne me verra plus aucun samedi. Je ferai d'autres projets longtemps à l'avance. Que je sois considérée sans volonté si je manque à ma parole ! De toute façon, il m'ennuie déjà, c'est seulement par habitude que je ne le laisse pas tomber.

Je ne resterai pas à attendre toute la soirée ! À 8 heures ce soir, je partirai voir une opérette.
Ils sont tous arrivés en groupe exactement à huit heures. Nous avons écouté la radio et ensuite des disques. Plus tard, ils voulaient jouer aux cartes, ils l’ont fait jusqu’à minuit. J'ai regardé. Cinq garçons et une fille. Puis nous sommes allés dîner dans un petit café tout près d'ici (trois garçons + moi.) Je viens de rentrer.

Mais rien qu'à penser déjà

4 novembre 1957

Aujourd’hui Alina, Bandi et Édith étaient chez moi, Simon a appelé, lui aussi. J'étais très gentille avec lui. Je ne sais pas pourquoi, ça m’est venu ainsi. Il ne pouvait pas nous rejoindre, tant mieux, ainsi je n’ai pas dû le refuser.

Stefan, un des garçons de hier soir, vient de m'appeler, il veut m’apporter deux pages à traduire du hongrois en roumain.. Viendra-t-il vraiment ? Il aime toujours Tamara, je me suis rendu compte hier comme il souffre. Il faudrait le consoler, mais il ne me connaît pas encore assez pour me parler sincèrement. Pour le moment, on devrait devenir de bons copains. Quelle sorte de filles lui plaisent ? Stefan donne beaucoup d’importance à l’aspect extérieur, aux vêtements, aime les filles sophistiquées avec des manières. Devrais-je être ainsi devant lui ? Je verrai. Ce soir j'ai ouvert mon journal parce que mon cœur bat à ce rythme : Stephan, Stephan. Il est tellement beau - et j’ai l’impression qu'il est aussi honnête et sérieux.

Julie attention ! Qu'avait dit Alina ? Pour le moment, étudie !

Demain, théâtre avec Simon. Avant: se cajoler. Je l’ai planifié. Je commence à comprendre ceux, qui, après avoir trompé leurs conjoints, deviennent beaucoup plus gentils à la maison. Moi rien qu'à y penser, et déjà...

Marie et George

5 novembre 1957

J'arrive de chez Marie. Simon ne mérite pas la chaleur que je voulais lui montrer, il m’a fait faux-bond de nouveau. Encore une fois il avait “à faire”.

La discussion avec Marie était très intéressante. Elle divorce. Elle me l'a raconté sans s'arrêter durant quatre heures. Mais pour bien la comprendre, il fallait que je lui tire les mots un à un.
Elle m’a dit aussitôt qu'elle divorçait.

Elle n'aime plus son mari. Pourquoi ? Elle ne savait pas. Ils sont mariés depuis un an et demi et ils se sont bien entendus, sexuellement. La vérité est qu'elle s'est mariée à cause d’Eugène qu’elle avait beaucoup aimé. Elle a beaucoup souffert de leur séparation. Quand elle a vu que Dan l'aimait, elle a pensé qu'elle ne devait pas l'aimer trop et elle s'est mariée. Elle croyait sincèrement qu'elle n’allait plus autant aimer. C’était un bon mari. Elle cherchait à me dire ce qui n'allait pas chez lui mais elle ne trouvait rien.

Finalement elle m'a dit : “il y en a un troisième”.

Elle en est amoureuse et l'autre l'aime aussi. Et bien sûr, il est plus "homme", plus sûr de lui, plus mûr... mais aussi plus égoïste. Cela n'est pas important, elle aime celui-là, elle veut celui-là. Alors j'ai compris. Qui ? Elle ne voulait pas le dire. Il a 28 ans. Enfin, j'ai commencé à comprendre. Finalement, elle ne l'a plus caché, mais je ne lui ai pas dit que j’avais compris, du but en blanc. Juste avec de légères allusions.

C'est l'ex-mari de Juliette. Je ne connais pas George, mais à un moment donné, j'ai pensé moi aussi, à aller le rencontrer. On m'avait dit que c'était un garçon bien, on m’avait suggéré qu’il ne serait pas mal pour moi. Nous sommes ainsi. Nous nous ressemblons et nous avons des avis semblables sur des garçons d'un certain type.

Pendant que le mari de Marie était à l'armée pour un stage de six mois, elle est allée deux fois faire des randonnées avec l'Autre, il travaille près des montagnes. Et l’Autre est venu la voir presque chaque dimanche. Qu'ils se soient embrassés, c'est sûr. Elle n'a pas reconnu qu'ils aient aussi couché ensemble, mais je sens que cela s’est passé ainsi. J’en sais rien. Mais ils se sont sentis très fortement unis dès la première excursion.

Entre temps, il y a deux mois, son mari est revenu à la maison. Elle lui a dit quelque chose mais, "pour qu'il ne reparte pas trop bouleversé", elle ne lui a pas tout dit, et surtout, elle n’a pas dit qu'elle voulait divorcer. Elle s'est couchée avec son mari, puis elle a eu honte d'elle même.
Elle reçoit des lettres des deux côtés, de son mari et de l’Autre, encore une vient d'arriver. Quelles merveilleuses lettres ! Marie est devenue toute belle et toute heureuse en me relisant les lettres de George. Elle affirme qu'elle ne regrette pas de s’être mariée, mais elle est heureuse d’avoir écouté ses parents il y a un an et de n’avoir pas aujourd’hui un enfant de lui.
Elle veut divorcer. Dans une semaine, son mari revient et elle va devoir le lui annoncer. Mais demain c’est George qui arrive et ils vont passer ensemble les fêtes. Elle plaint son mari qui l'aime. Elle a peur surtout qu'il ne veuille pas divorcer.

Elle sait qu’elle est devant une période difficile.

C'est étrange, mais je l'ai bien comprise et j'étais d'accord avec elle. Je l’enviais même. J'aurais voulu être à sa place. Pourtant, jugé de l'extérieur, c'est moche : le mari est soldat, elle se sépare de lui difficilement pour quelques jours (c’était ainsi), et une semaine après elle tombe amoureuse d'un autre, elle passe toute son temps ivre de l’Autre. Et davantage. En plus, elle vit avec son mari pendant sa journée libre, ensuite elle écrit aux deux...

Mais la vérité est autre d'après moi : elle vient de trouver le vrai. Celui qui lui est destiné pour toute sa vie. Le partenaire de sa vie. Le VRAI. Alors, rien ne compte plus. Elle doit tout faire pour rester avec Lui.

Pour le moment elle divorce. Puis, elle verra. Mais elle ne peut pas réfléchir longtemps, parce que le garçon n'habite pas à Bucarest et ils ne pourront se rencontrer que rarement - s'ils ne se marient pas vite. Sinon, ils vivront chacun avec d'autres. ça serait la fin. Parce que Marie y met du cœur, comme je le ferais aussi. Le plus sérieux est encore d’agir comme elle est décidée et divorcer ; ensuite se marier avec l'Autre.

Elle ira habiter là-bas, ou alors il viendra à Bucarest. Juliette, la première femme de George, était différente, une femme douillette, elle se plaignait tout le temps, elle a l'esprit vif, affûté comme un couteau, c’est une bonne femmelette, coquette, mais ils ne s'entendaient pas bien sexuellement non plus. La vie à la campagne était trop dure pour une fille gâtée comme elle. Je pourrais réfléchir, philosopher beaucoup sur ce que j’ai entendu ce soir et sur toutes les autres choses qu'elle m'a racontées.

Il se fait tard. Nous avons énormément parlé.

Nous avons classé les garçons, comme ceux de Bucarest et ceux de Kolozsvàr. Depuis lors, tout le groupe autour de Simon me paraît insignifiant. Même Stéphane. Tous. [Ils sont presque tous à l'Architecture comme Marie]. Nous avons conclu qu’un à un ils sont tous bien, mais ensemble... ils ne valent pas grand-chose. Lonci est intelligent mais paresseux, Grigore est un enfant de 21 ans, Stefan joli mais c’est tout, Tucu est intéressant et sportif, mais il ment en disant qu'il est déjà ingénieur, il est seulement en dernière année, Marcel est fin mais paresseux à l’étude, Mircea a de bonnes manières mais imbu. Donc, un à un ils ne sont pas si mal que ça, mais ensemble ! Je vais sortir encore un peu avec eux, puis je chercherai autre chose.

Je suis restée longtemps seule après avoir rompu avec Bert, j’ai appris à ne pas partir avant d’en avoir un autre. Les garçons courent seulement après les filles qui ne sont pas seules, hélas. Mais plus tard, je dois chercher ailleurs. Peut-être partir à Kolozsvàr après avoir reçu mon diplôme comme me le suggère Marie ? Que faire ?

J'ai des frissons, bonne nuit !
Marie et George sont toujours ensemble et ont dorénavant des petits-enfants aussi, vivant près de New York depuis un temps.

Quand viendra le "vrai"?

8 novembre 1957

À mon avis, si quelqu’un veut paraître plus qu'il ne vaut, il paraîtra moins. Seul celui qui se sent amoindri veut paraître différent, n’étant pas content de ce qu’il est.
Moi, je ne veux jamais paraître mieux, différente de ce que je suis, ma devise est : "je suis ainsi". Si on me prend telle que je suis, bien, sinon tant pis. Je suis contente comme je suis, (et cela est extrêmement important).

Les garçons de la bande à Simon, seuls, sont pas mal, mais ensemble ils veulent être mieux que les autres, s’imiter l’un l’autre, et à cause de ça, ils deviennent insupportables.

Aujourd'hui Radu, l’ingénieur rencontré en excursion, est venu me voir, je crois qu'il est amoureux de moi. Pourtant, il a deux enfants et une femme, je n’enlève pas son mari à une femme et, de toute façon bien qu’il soit intéressant et intelligent, il ne me plaît pas comme homme. Je le plains, je crois que c’est un chic type et le fait que je lui plais, me donne confiance en moi.

Hier soir, huit garçons sont venus chez moi : Marcel, Thune, Mircea, Grigore, Stéphane, Lonci, Monel, Simon (ils n’ont pas beaucoup de places où aller en groupe). Ils ont joué au rami et au poker. Ils m'ont demandé d’y participer, mais je n'avais pas envie. Ils voulaient m'apprendre à jouer au poker. J'ai finalement regardé Lonci jouant. Stefan m'a aussi appelée près de lui, mais je n'ai pas voulu quitter Lonci qui se vexe vite. Ce groupe est très bien pour moi, j’apprends comment il faut se comporter parmi beaucoup de garçons. C’est très important. J'apprends facilement. Au début, je ne me suis pas sentie bien parmi eux, j'étais embarrassée. Hier j'étais déjà tout à fait à l'aise. Je suis fière d'être une bonne hôtesse, une bonne maîtresse de maison, j'ai l'ambition de l’être, j'aime recevoir. J'espère qu'Eugène ne s'était pas fâché ce matin, quand j’ai dû le mettre dehors, en réalité il était passé juste pour me rapporter des disques.

14 novembre 1957
Est-ce toujours comme ça : on t'aime, tu en aimes un autre, et lui, une autre? Quand aurai-je un amour réciproque ? Désir, plaisir.

Pendant quelques jours, mon cœur battait sur un nouvel air : Grigore, Grigore. C’est déjà passé. Il n'y avait aucun espoir. Pourtant, il le méritait, il est bien, masculin, sérieux et honnête. Samedi soir, quand j'ai dansé avec lui, il ne m'a même pas serré la main un peu plus. Quand même il m'a bouleversée, je tremblais. Lui, il s'est comporté comme il faut, comme il sied à un ami de Simon. Pourtant moi, à ce moment-là, bêtement, j'aurais voulu qu’il fasse autre chose. Mais ainsi c'est mieux. De toute façon, il est plus jeune que moi d’une année.

Après le dernier samedi Simon s'est comporté comme un agneau et puis il s’est enivré. Il ne sait pas que faire pour me faire plus de plaisir. Il m'a dit qu’il était heureux déjà de me voir. Mais que faire. Il ne m’intéresse plus. C’est comme ça. C’est fini.

Quand viendra enfin le Vrai ? Un grand amour, ou au moins, un amour réciproque. Julie, rien ne vient tout seul. Il faut aller au devant. Je dois sortir en société de plus en plus. J'ai commencé à apprendre à jouer au poker, mais je dois trouver avec qui m’exercer.

Il fait agréablement chaud, je supporte mal le froid. Je dois vraiment recommencer à étudier. Mais ça marche péniblement ce soir. Que c'est beau ce que j'entends à la radio ! Je le connais, c'est quoi ? Un pot-pourri de Grieg.

Je me suis vaincue

15 novembre 1957

J'ai beaucoup aimé le livre de Sàndor Màrai "Un jeu à Bolrano". Époustouflant, énorme. Bien sûr, mon romancier préféré reste toujours Jókai, tous ses livres de son premier à son dernier, (il en a écrit 100), on ne peut pas s’en lasser, ne pas les aimer.

Je suis en crise, je n'arrive plus à étudier et je me réfugie dans la lecture, la musique, le sommeil. Il faut m'en sortir, au plus tard lundi matin. Je peux me permettre de me “laisser aller” encore un tout petit peu. Mais ensuite : fini !

26 novembre 1957
Je n'ai pas écrit depuis longtemps, pourtant il y aurait eu de quoi. J'ai eu tant de problèmes et tant de choses se sont passées en moi. Et autour de moi. Il y a quand même des choses qu'on ne peut pas décrire. J'ai peur qu’on le lise. Tant qu’il ne s'agit pas de moi, d’accord, je me tais. Mais dans ce cas, il s'agit de moi.

Aujourd'hui je suis satisfaite et heureuse… parce que je vois que je suis faite d'un bois qui réussit à vaincre les difficultés. Hier à midi j'étais encore malheureuse, somnolente, détruite, ayant mal à la tête, mal à la gorge, je croulais sous des problèmes difficiles à résoudre. Je suis malade ! Je suis seule ! Etc. J’ai fait une sieste de deux heures.

Lonci est passé et nous avons parlé, il m'a escortée jusqu’au cinéma. J'ai vu le très beau film « l’Odyssée », revenue, je me suis couchée et endormie aussitôt.

Ce matin, je me suis réveillée plein d’élan : au travail ! Je suis partie résoudre, parler, dire, appeler, demander. J’ai agi. Dans une heure, je repars à l’attaque. Je me suis vaincue ! Je ne vais pas me laisser battre ! Je ne suis pas de ce bois-là. Je serre les dents, les poignets, je souris, je chante et j'attaque ce qui est difficile. Je n'hésite pas, je n'ai pas peur, je ne m'arrête pas au milieu du chemin. Comme si j’étais à la montagne en excursion, il faut continuer.

Je me suis souvenu de la chanson “à travers les monts et vallées” que je chantonnais à Kolozsvàr à douze ans, pendant que je montais, difficilement, ma bicyclette au deuxième étage. Je suis très heureuse d’avoir découvert en moi ce trait de ma personnalité. Je crois l’avoir hérité de mon père - il est fort, résistant, lui aussi. Même maman, quand on a besoin d’elle, montre souvent ce dont elle est capable.Hier soir, Lonci m'a loué les autres filles du groupe : Anca et Victoria.

J’aimerais bien savoir ce qu'il raconte de moi aux autres. Il m'a aussi parlé de Grigore. Et de Simon. D'après lui “Simon est trop bon, il ne peut pas refuser quelqu'un” Il m'a surprise. (Il s’agissait en réalité de son comportement envers les autres femmes, mais il le disait en général). C'est vrai, je suis arrivée depuis un temps à ne voir que les défauts de Simon, pourtant il a aussi un tas de qualités.

J’ai envie de sortir

La vie continue avec ses coups et ses joies profondes.
la difficulté de choisir, de décider, la possibilité d’oser.

28 novembre 1957

Le premier jour d'hiver, les premières chutes de neige, comme c’est beau chaque fois ! J'ai envie de courir, flâner. M’enfoncer dans la neige, seulement parce que c'est la première qui tombe. Sortir de la maison, sortir de moi, faire les premiers pas.

Comme j’aurais voulu sortir aujourd’hui, mais je ne suis pas sortie. J'aurais pu pourtant y aller. Seule. Peut‑être, même avec lui. Je n'ai pas voulu aller le chercher, pourtant il était chez lui.
J’irai une fois avec mon mari ou mon amoureux, n’importe où,, dans la neige qui tombe, dans le monde. ça sera merveilleux !

Aujourd'hui, je suis restée à la maison. J'ai lu, j'ai réfléchi. Il fait bien chaud ici, même un peu fatigant, étouffant. Je devrais sortir quand même.

Hier matin, je me suis apaisée, j'ai décidé de rompre avec Simon. Pour le moment, pour une semaine, puis... Je supporterai très bien d'être sans compagnie. Je n’ai même plus pensé, qu'il pourrait me manquer, lui aussi. À midi, nous avons commencé à en discuter. Je suis devenue toute bouleversée, je tremblais même. “Que va‑t-il se passer s'il accepte vraiment ma proposition ?”

Et il s'en est rendu compte.

J’aurai été forte et froide si je ne m'étais pas aperçue d’un coup qu’il avait de la fièvre, pourtant je savais déjà qu'il n’était pas bien. D ’un coup, j'ai eu pitié, et chez moi, cela vainc beaucoup d’autres choses. Je me suis rendu compte que je l'aimais... comme j’aime ma meilleure amie. Mais de trembler comme cela pour ne pas le perdre ! Non, il ne s'agit pas de ça. Et je ne suis pas jalouse, non, pas du tout. Comme ce serait bien si j'étais un garçon ou alors lui une fille et que nous étions amis. Vraiment ?

Je l'ai raccompagné à la maison et nous avons déjeuné et continué notre discussion chez lui. Je lui ai dit enfin clairement, intelligiblement "non" (je ne deviendrai pas sa maîtresse). Avant ou après cela, je ne me souviens plus, il m’a dit qu'il m’aimait tant qu’il n'arrivait pas à se décider à me quitter définitivement.

Hier je me suis rendu compte moi aussi que je l’aimais davantage, j’étais beaucoup plus attachée à lui que je ne le croyais. Je suis très surprise. Je ne comprends pas.

J’en suis arrivée là. Je le lui dirai, mais bien sûr, pas comme ça. J'ai fait plein de trucs que je n'aurais pas faits si je m’étais rendu compte qu’il me plaisait tant que ça. Alors, j’aurais été beaucoup plus retenue. Je vais l'être de nouveau, je l’espère.

1 déc. 1957, minuit

30 novembre 1957

Oh, que cette opérette est belle ! La valse de l’opérette "Comte de Luxembourg” me caresse le cœur. Et cette petite photo me rappelant la 9e symphonie de Beethoven : un jeune cerisier en fleurs sous des nuages gris menaçants.


Ça me fait très mal (1 dec)


Qu’il est bête ! Si un jour je l'aime beaucoup et que je suis gentille avec lui, le lendemain il fait le fou et me déçoit. Aujourd'hui, Simon a embrassé presque devant moi, il s'est roulé sur le lit - cela n’a pas d’importance avec qui - puisque ce soir, elle n’était pas la première ni la dernière. Il m'a délaissée et m’a tourné le dos au vu et au su de ses copains. Au lieu de m'attrister, d’être jalouse ou de m'effondrer - et de devenir plus obéissante (lui céder) ou de me quereller avec lui, au lieu de tout cela, j’ai perdu mes dernières illusions sur lui, je me suis guérie de lui de nouveau. Et le fait que c’était le jour de l'anniversaire de naissance de son père incarcéré ou parque qu'il était malade et avait de la fièvre, ne l’excuse pas. Non.

Il l'a fait volontairement. Il n'a pas encore vu cet idiot, n’a pas compris ce sot, que son comportement lui retombera sur le nez. Il me provoque ? Bien. Je lui montrerai que je sais, moi aussi, frapper, dorénavant ça devient facile et ne va pas me demander un trop grand effort.

Demain j’irai au cinéma en matinée, puis à l’hôpital voir maman, puis chez Eve. Lundi, je ne serai pas à la maison pour lui et ainsi de suite. Il faudra le faire de façon que ses amis s’en aperçoivent. Je le laisserai devenir fou de moi sans pitié. Vraiment, il ne mérite pas que je le plaigne. Lonci affirmait qu'il est un bon garçon et qu'il a seulement des défauts superficiels. Ce n'est pas vrai, c'est dans son sang. C'est possible qu'il soit bon ami, mais je ne le crois pas. Que le diable l'emporte !

Heureusement, ça ne me fait pas mal.

lendemain matin
Ça me fait très mal.

Je n'aurais pas cru, que je souffrirais tant, que je sois aussi fâchée. Il faut seulement que je ferme les yeux pour le voir avec cette fille sur mon propre divan. Je ne sais pas si je pourrais jamais lui pardonner. D'un coup il me paraît tellement étranger, tellement méchant. T. m’a raconté que Simon aurait battu Mery, il m’a dit aussi qu’au moins, j'aurais dû jeter quelque chose sur lui ou sur eux, aussitôt.

Difficile de rester vierge
10 décembre 1957

J'aurais de quoi écrire, mais je n'ai pas envie.

Je n'ai pas envie de réfléchir, ni de penser, ni même de discuter avec moi-même. Si les gens savaient combien il est difficile quelquefois à une vierge - de rester vierge !

Je devrais me marier rapidement, mais avec qui ? Il me faudrait un amant comme il faut, mais qui ? Il faut faire de la gymnastique ou nager: bouger!

Que faire?
24 décembre 1957

C'est affreux comme l’être est compliqué. Une fois il veut ceci, une autre fois ça, puis pas, et à la fin, il ne sait même plus ce qu’il veut.

Avant-hier, j’étais écœurée par Simon, presque dégoûtée et je serais morte s'il m'avait embrassée, je sens encore un malaise quand je me le rappelle. Il me proposa de ne plus nous revoir - et moi, je ne l'ai pas accepté. Je n’en voulais plus, mais le laisser s’éloigner, non plus. Cette fois-ci, ce n'est pas ma tête qui pensait. Ici le cerveau ne joue plus.

Pourtant j’aurais déjà quelqu'un pour prendre sa place, je sors de temps en temps avec Sandou. Et même si je n’avais personne, le temps est arrivé de me mettre à étudier. Malgré tout, le perdre me fait affreusement mal.

Pourtant, cela ne dépend que de moi : lui dire un seul mot, répondre à sa question (oui ou non), et tout sera fini. Je n'arrive pas à le prononcer. Pourquoi ? Ce n'est pas possible, que ce soit parce que c'est lui qui me l'a demandé ; il ne s’agit pas d’amour propre froissé. M'aime-t-il ? Ne m’aime-t-il pas ? L’affirme-t-il seulement ? Chez lui, il peut s’agir d’ambition, mais pas chez moi. Je l'aime ? Je ne l’aime pas ? Je ne sais pas. Mais je suis attachée. Pourquoi ? Et hier, sentant, sachant, qu'il avait été avec une autre, j’ai eu tant de peine, j'étais si bouleversée ! Pourquoi, si je ne veux même pas être près de lui ? Alors, pourquoi ne serait-il pas avec une autre ? Que le monde est compliqué. Je vois bien, je sais déjà, je le voulais ainsi. Il faut prononcer ce ‘non’ (je ne serai pas à lui), il faut en finir, mais je n'arrive pas, je prolonge, je persiste ; je ne le veux pas.

Je n'arrive même plus à réfléchir. Ce n’est plus que l'instinct ou je ne sais pas quoi qui s’exprime. Je le plains ? Je ne crois pas. C’est une des raisons, peut-être. Mais maintenant, je ne pense pas à lui, mais à moi. Ma tête a déjà décidé la séparation, mais mon cœur s'y oppose encore. L'habitude ? Je ne crois pas, ce n'est pas une raison. Pourtant, mon cœur se réchauffe encore en pensant à lui. Que m’arrive-il ?

Qu'est ce que je veux ? Que vais-je faire ? Je n'arrive plus à étudier. Bien sûr, pas seulement à cause de la situation entre nous. Juste un peu, quand même.

Je ne demande plus l'opinion des autres, et hélas, je ne peux même pas demander ma propre opinion. J'avais décidé d’être sincère, je ne pourrais être autrement, et j’avais décidé d’étaler devant Simon la situation telle qu'elle est, avec mon indécision et tout.

Finalement, je me suis tue, nous avons parlé de choses insignifiantes, blagué et j'étais soulagée de ne pas devoir m’expliquer et probablement, lui aussi pensait une chose, disait une autre. La tension flottait dans l’air. Nous faisions semblant, qu’il n'y avait rien de nouveau, parce que c'était notre intérêt (vraiment ?) mais nous savions bien, nous sentions que ça ne pourrait plus durer longtemps ainsi. Il me manquera, et lui - que peut-il penser de moi ?

Pourquoi ne lui ai-je pas dit la vérité ? Comment le sait-il, alors que moi-même je ne le sais pas ? Et où est la vérité ?

J’essaie d'étudier. Je n'ai aucune patience maintenant pour “Comment augmenter la solubilité.” C’est horrible et ne m’intéresse plus du tout. Tout, mais pas ça ! Devrais-je étudier un autre sujet ? ou l’apprendre d’un autre livre ? Il faudra de nouveau me tourner vers Alina, lui demander de l'aide comme autrefois. Maman m’observe, me regarde, elle voit que je n'étudie pas et me bouscule. Elle a raison, elle aussi.

En général, quand deux personnes sont face à face, garçon – fille, fille – fille, parent – enfant, ils ont, tous les deux, raison à leurs propres yeux. Il n’existe pas de vérité absolue. Uniquement relative. L'un a davantage raison, plus de justification que l'autre.

Je suis devenue complètement folle. Je ne supporte même plus qu’il m’embrasse et d’un coup j'ai énormément envie d'entendre sa voix, au moins à travers le téléphone. Je suis cinglée. Vraiment. Agitée. Assise tranquillement à la maison, je me sens un "tourbillon sur place".

J’essaierai de me réfugier dans ma chambre, de m’y enfuir entre mes poèmes. Ou en ville ? Que faire ?

21 décembre 1957

Curieux, combien de choses intéressantes et nouvelles m'arrivent, mais je n'ai pas envie d’écrire, de les décrire.

J'ai rompu

9 janvier, 1958

Aujourd'hui j’ai rompu avec Simon.

Je le crois, au moins. Et c'est possible, que jamais plus, je ne parlerai plus avec lui, je ne le verrai jamais plus. Son sort m’intéressera toujours. Je l'aime, malgré tout. Au moins, l’être humain.

Mes parents sont en train de se quereller.

J’ai mal à la tête.

Bien sûr, tout s'est passé ‘sans vagues’. Je m’en doutais : Simon est très fier, je savais qu’il se comporterait ainsi. Il savait depuis longtemps, même s'il ne le voulait pas, que ça finirait ainsi entre nous. Depuis trop longtemps, ça allait mal entre nous. Il ne reviendra pas, ne m’appellera pas. Du moins je le crois. Je l'ai fait avec beaucoup difficulté, je me suis décidée péniblement, je l’ai prononcé presque malgré moi, mais je crois qu'il le fallait. Je crois que j'ai bien fait.

Je suis restée seule. Je lui ai dit aussi que je ne veux pas rencontrer ses copains, non plus. Je ne verrai pas même ceux d’entre eux que je voudrais. Tout est fini. Une partie de ma vie fermée. Je dois commencer à m'occuper de choses essentielles, me mettre à étudier sérieusement. c’est le plus important pour le moment. Suspendre toutes les distractions pour six mois. J'espère, d’ici là, j’aurai réussi à finir mes études universitaires. Peut-être aussi, que je pourrais recommencer, ailleurs… Soupir… Bonne nuit !

12 jan. 1958

En réalité je me sens soulagée. Je suis plus tranquille et j'ai un sentiment de liberté. Comme si je flottais en l’air ! Depuis longtemps, je ne me suis sentie ainsi et c'est merveilleux. C'est bon d’être seul et indépendante. Je me sens plus sûre de moi Comme si j'étais redevenue moi-même. Mais plus complète, davantage qu’avant. De nouveau, je suis contente de moi. Depuis deux jours, je me suis remise à étudier et je continuerai.

Je dois quand même avoir plus de tact, apprendre à mentir quand il le faut. Par exemple aujourd’hui j'aurais dû dire à papa, qu’il a fait dans le passé tout ce qu'il m'avait promis. À la place, j'ai hésité. (C'est moche qu'il faille user de ruse même avec ses propres parents.)

18 janvier 1958

Alina a eu raison, cette fois. Il faudrait l’écouter, surtout, dans de petites affaires. Simon essaie de me faire des caprices, de ne pas m’appeler jusqu’à 19 h, au sujet du billet de cinéma. Par chance, Marie m'a appelée et nous sommes allées voir le même film. Ensuite, jusqu'à deux heures du matin, elle m'a lu des lettres.

C'est intéressant, tous, au moins pas mal de gens, deviennent mes amis (ou seulement alors) quand ils ressentent le besoin de se confesser, parler, de demander conseil ou quand ils ont besoin de consolation. En fait, il n'y a rien de curieux, parce que je sais compatir, j’essaie de les consoler, les problèmes des autres et leurs aventures et leurs amours m’intéressent toujours.

J'ai toujours aimé écouter des histoires et les vraies encore plus, j’essaie de les aider de toutes mes forces et avec plaisir, conseils ou autres choses ou tout ce qui est en mon pouvoir. C'est vrai, surtout jusqu’à ce que cela ne me pèse pas trop, mais qui d’entre nous n'est pas égoïste au bout du compte. C’est arrivé avec Édith quand ils ont relâché sa mère et qu’Édith ne voulait plus habiter avec elle ; avec Eugène quand il voulait quitter Marie et aussi quand il pleurait après Édith ; avec Alina, quand Vasiliu lui faisait des caprices avant leur mariage ; et avec Simon, quand on a condamné son père, donc ce n’est pas nouveau pour moi.

Maintenant, je voudrais aider Marie et tout essayer, la conseiller efficacement. D’abord, bien réfléchir. Tant que je peux avec ma propre tête, ensuite s’il le faut demander conseil aux autres.

Marie est une fille (femme) bien et je la comprends. C'est vrai, qu'elle n'est pas assez intelligente et elle ne trouve que faire, il faudra donc la conseiller. Je ne connais George jusqu’à maintenant que d’après des ‘on dit’ mais il me plaisait. En voyant sa photo, il ne m'a pas plu d’abord, mais à partir de ses lettres et de ce que Marie m'a raconté, (surtout la façon qu’il écrit) je suis presque tombée amoureuse de lui. Il est sincère - presque jusqu'à la méchanceté, il est intelligent, profond et réfléchi, il est cultivé, mais la vie lui a aussi beaucoup appris, l’a souvent frappé.

C’est une des raisons pour lesquelles il ‘hésite’, il veut attendre, réfléchir à ne pas se faire mal une deuxième fois. Mais il est bon. Il a un bon fond. Et il aime Marie, l’estime comme être humain, l’adore comme amante, que faut-il encore ? Je crois que Marie lui a fait peur avec son amour débordant et exprimé si ouvertement. Quand elle aime, elle aime beaucoup et peut fatiguer, peser, surtout dans l’état où il est, après avoir dû partager avec son ex, tout qu’ils avaient eu. C’est pourquoi il lui a écrit cette réponse. Il a pris peur, comme un jeune garçon de 23 ans qui ne veut pas encore se marier.

D'après ce que je sais, le remède pourrait être que la femme fasse semblant de « ne plus vouloir. » Mais il faudra bien réfléchir aux étapes tactiques. Je voudrais tant les aider ! Même s'ils ne reconnaissent pas plus tard qu'ils me doivent quelque chose (j’ai appris depuis longtemps à ne jamais attendre de la reconnaissance.) Je voudrais tellement que cet amour réussisse, qu'ils se marient, qu’ils soient heureux ! Au moins un certain temps, au moins comme la plupart des couples.

J'espère qu’un jour je trouverai moi aussi un garçon comme la sienne. Il a de l’humour. Il aime son métier. Il aime la vie, les excursions, la musique, il sait vivre et ce qui est le plus rare encore, même réfléchir. C'est possible, que je paraisse insignifiante à un homme comme lui - mais peut-être pas. Je vaux quand même quelque chose. J'ai moi aussi quelques bons côtés.

Elle m'a demandé : « N'as-tu pas peur de rentrer à la maison au milieu de la nuit ? »

J'ai répondu : « Oui, j'ai peur. Mais les courageux passent au-dessus de ses craintes. »

En réalité, pendant tout le chemin de retour, j'ai réfléchi à ce que j’avais entendu et je n'ai pas eu le temps d'avoir peur.
Je dois dormir, au revoir Julie !

26 janvier 1958

Aujourd’hui, j'ai mis définitivement un point (une croix) après le nom de Simon. Dorénavant, je ne veux plus le voir, je ne penserai plus à lui, je n’écrirai plus à son sujet. Comme on dit, « j'ai retiré ma main de lui. » Notre connexion a duré jusque là. C’est fini : ici un gros point!

Demain j’irai voir mon prof de thèse, avec des questions et je me mettrai à étudier sérieusement. Le matin, j’appellerai Eugène, lui demander de trouver des billets pour le ballet sur glace; ensuite Alina, savoir comment s’était passée sa première journée de travail.

Quelque chose en moi est assez vide. ‘Tabula rasa’. Mais de nouvelles choses arriveront.

Poème de rupture

27 janvier 1958

J'ai rompu, je ne le regrette pas (poème de rupture)
S’il faut, je le referai encore
T’es volage, pas sérieux
Bon, mais on ne peut pas compter sur toi
J’ai bien fait ce que j’ai fait
La raison m’a bien conseillée.

Je ne veux pas me réconcilier - on ne le peut
On s’est séparés pour toujours - il le fallait.
Mais quand je passe devant ta maison
Je ralentis et je regarde
Es-tu là, es-tu parti, que sais-je
Tu m’as trop souvent menti

Que se passerait-il, si tu paraissais
devant moi soudainement,
Si une matinée je te voyais en ville
Je sais, nos cœurs battraient d’un coup plus fort,
Mais de plus près, nos couleurs reviendront
Et l’on se fera mal de nouveau, moi avec mes yeux
Ou avec le “non” de toujours à ta question

Toi, me racontant combien courent après toi
Combien de femmes t’ont offert encore leurs grâces
On repartirait, qui par ici, qui par là,
Mais sûrement en pensant l’un à l’autre :
“Qu’il serait bon encore ... si, que...”
Et nous serions troublés un certain temps encore.

Il est bon que tu sois parti
Il est bon que tu ne sois pas ici
Ainsi tranquille, j'étudie,
Tu ne peux plus me faire souffrir.
Ce que j’ai décidé, je ne le regrette pas
Comme j’ai fait, j’ai bien fait

Un petit temps passera,
Et nous désirerons un autre.
Nous serons étonnés :
Comment ai-je pu être avec celui-là !

Ajouté février 1959 : C’est loin, il ne reste même pas le souvenir.
Après un an : C’est déjà un joli souvenir

Après deux ans : Que fait-il dans la dernière page de mon journal ?
C’est déjà de la neige d’antan ...


Je n'aime pas heurter quelqu'un, cela me fait plus mal qu’à lui. Je me tourmente : a-t-il mérité que je lui fasse de la peine, sois aussi franche. C'est vrai que d’après la mère d’Olympia (de la pièce de Molnàr), la seule façon clémente d’en finir avec quelqu’un est d'un coup sec. Mais ça fait mal quand même, même si je ne le veux pas. On a le droit d'avoir des faiblesses, c’est normal, on ne doit pas les montrer.

Ne promets pas facilement ! Ce sera difficile à tenir tes décisions et tu t'abaisseras à tes propres yeux (ou devant d’autres.)

Par exemple, quand j'ai écrit de ne jamais plus penser à lui ou au moins, n’écrire rien. Curieusement, ce qu'il m'a dit hier au téléphone ne m'a pas heurtée tant, mais aujourd’hui j'ai de la peine, pourtant cette fois c'est moi qui ai été désagréable. Comme m’avait dit son copain : “mieux vaut mordre l'oreiller et te taire”. Je mords. Mais il faudra étudier et ... hélas, j'ai aussi un bon livre de détective. Ou est-ce bien ?

Julie, sache avoir la joie de la vie ! Sois heureuse de ce qui est beau.

Il y a des choses dont j'ai fortement envie, et si c'est impossible, c'est vrai que c'est moi qui l'ai décidé, j’accepte aisément leur perte. Comme si jamais je ne l'avais voulu. Ça a été ainsi avec la fête de la nouvelle année chez moi, et aujourd’hui, avec le Ballet sur Glace.

Que n'aurais-je fait pour le voir !

J'avais le billet, et j’ai dit à Simon "je ne peux pas y aller". Je ne regrette pas de ne l'avoir pas accepté, pas du tout. Je le considère comme si tout le spectacle n’existait pas pour moi. J’aurais pu demander à Eugène qui m'avait dit qu'il trouverait des billets, mais ça ne m’intéresse plus du tout. C’est curieux, et bien. Mais pour le ballet de Leningrad, il faut absolument trouver un billet. Pour cela, ça vaut la peine de parler avec toutes mes connaissances.

Bientôt printemps
16 février 1958
Enfin, en sixième ! La dernière année d’études universitaires. J’ai réussi à passer les Matières Plastiques.

Je me sens si bien, si légère. C’est un sentiment extra.

Hélas, hier il s’est avéré que mes problèmes au travail à l’Institut de Recherche ne se sont pas arrangés. Il faut y aller demain et m’en occuper et ensuite… recommencer à étudier. Cette fois, pour les examens de la sixième année. Ils commencent vendredi. C’est la vie. Mais ces examens sont nettement plus faciles. J’espère que je trouverai quelqu’un avec qui étudier, parmi les autres étudiants d’université par correspondance. Sinon, je me débrouillerai seule, plus ou moins bien.

24 février 1958

Échouer n'est pas agréable. Surtout que je n'ai pas mérité de ne pas réussir à cet examen. Les autres ont étudié un à deux jours et moi cinq. Je savais. En plus, ils m'ont torturée comme un animal. Le matin l’écrit, ils affirment maintenant que je l’avais raté, mais je suis sûre que j’avais bien répondu.

Ils n'ont rien dit. Seulement de venir l'après-midi, pour l’oral. J'ai de nouveau attendu, inquiète, de 9 h du matin à 3 h de l'après-midi. J'ai relu encore une fois et j'ai été là parmi les premiers à 3 heures. Ils n'ont commencé à m'interroger qu'à 5 1/2, la dernière de tous. J'ai répondu très bien à deux questions et moins bien à la dernière. Il a dit “OK, viens le lendemain pour les examens pratiques au labo” (à certains, il a dit “tu n’es pas passée, ne viens plus”). De nouveau l’angoisse.
Une matinée entière de travail au laboratoire, ensuite attendre encore une heure les résultats : je ne suis pas passée. Pourquoi ? L'épreuve de laboratoire a été bien, m’affirme-t-il.

Pourquoi m’a-t-il tant torturée? Il est plus humain d’achever quelqu’un d’un coup, ne pas le faire attendre. La mère d’Olympia avait raison, (dans la pièce écrite par Molnàr) : “si tu veux épargner quelqu’un (qu’on doit exécuter), fais-le d'un coup et rapidement.”

J’ai eu une crise de larmes, en l’apprenant. J'ai pleuré tout l'après-midi et le lendemain matin aussi.

Qu’il fait beau ! Le printemps ! Fait pour la promenade. J’ai commencé aujourd’hui à prendre des bains de soleil.

émigrer ou pas?

28 février 1958

Enfin j'ai fini mes derniers examens de cette session. J'ai réussi à remettre mon amour propre d’aplomb avec deux 10 beaux et ronds. Il est vrai que c’était des sujets plus faciles, mais c'est quand même deux jolies notes 10 sur 10. Il faut continuer ainsi ! J'ai décidé que la dernière année, je serais de nouveau très bonne étudiante... Je l'ai été les deux premières, la première et la dernière impression comptent davantage.

Ce ne sera pas de tout repos. J'ai encore deux sujets difficiles et deux faciles devant moi, mais il faut du temps d'étude même pour ces derniers. Je me suis rendu compte qu'on peut mieux apprendre avec d'autres, j'essaierai de continuer ainsi.

Je pourrais être si heureuse, pleine de bonheur, et je le serais si ma mère n'avait pas recommencé à me tourmenter. Elle abîme ma joie. Elle croit bien faire ‘m'aider’ mais à chaque fois elle me rend seulement nerveuse, et finalement, ce qu'elle dit ne compte pas, ni d’ailleurs ce que je veux, moi. Ce qui comptera, c’est ce qu'ils vont vouloir eux, en haut[1]. Je suis, convaincue malgré tout, que pour moi ça se terminera bien, d'une façon ou de l'autre. Mais ça pourra aussi tourner mal. Comment savoir ?

Si je dois travailler pendant les mois suivants, il ne me restera pas assez de temps pour étudier et finir ma soutenance de diplôme en juillet ; si je n’y vais pas, je pourrai étudier, mais maman continuera de me tourmenter. Alors mieux vaut encore retourner travailler sans demander un congé supplémentaire, pour ne pas devoir écouter chaque jour le même disque. Finalement retourner pour quelques semaines ne peut me faire si mal. Je commencerai à étudier les colorants, je vais le préparer et alors ne devrais plus le reprendre jusqu’aux examens. Peut-être, pourrais-je quand même, terminer tous mes examens en juillet ?

J'ai mal à la main d'avoir autant écrit (pas dans mon journal mais pendant ces quarante derniers jours pour mes études, ma thèse). Je dois encore reprendre la pharmacie, recopier le cahier, revoir ensuite la mécanique, avec les autres filles. Je suis libre, quand elles le préfèrent. J’ai mal aux yeux. Il faudra aller chez le coiffeur, mais quand ? Cette après-midi, j’ai des billets pour le ballet de glace.

9 mars
Je me disais que c’était seulement Eugène ainsi : quand on le rend jaloux, on le jette dehors, alors il commence seulement à être intéressé par une fille. Il paraît, les autres garçons sont aussi comme cela. Les gens, n’ont-ils pas de fierté ? Où seulement moi, je n’ai pas eu la chance de rencontrer des gens fiers ?

[1] Émigrer ou pas, demander ou pas : maman avait une opinion, papa un autre. En plus elle craignait que je ne perde mon poste en prenant des congés longs pour les examens.

14 mars 1958

Est-ce que j'ai passé l’examen seulement hier ? Étrange. Combien ça peut paraître lointain quelquefois une distance d'une seule journée.

Hier j’ai eu une journée bien remplie : le matin l’examen (matières colorants, bien réussi), l’après-midi j’ai présenté à mon prof de thèse le projet et le soir je suis allée voir une opérette. Aujourd'hui, j’ai fait de la gymnastique, puis les calculs restants pour ma thèse d’Ingénieur et bien sûr, je n’en peux plus.

J'ai l'impression d’avoir le cerveau embrouillé, mon cœur bat la chamade.

Moi, qui ai toujours été pour faire une pause dans les études, je ne m’y suis pas tenue. J'ai aussi oublié qu’étant fatiguée, faire de l'exercice physique ne m'aide pas, au contraire ; pourtant l’excursion faite l’été dernier juste avant les examens me l'a démontré. Faire du sport avant d’étudier peut aider les autres, mais pas moi. Ma tête tourne, même en écrivant ceci.

Depuis longtemps je voulais noter une vérité que je ferais bien d’avoir toujours devant les yeux, ce n'est pas de moi, je l'ai prise de la Bible, mais c'est une vérité : « On peut tout réussir si on le veut énormément. » Il faut seulement le vouloir beaucoup, le vouloir assez. Et bien sûr, comme on vit dans un monde civilisé, ne pas foncer avec la tête contre le mur, mais avec de la volonté, de l’intelligence, de la stratégie, ou même, en prenant des chemins détournés - mais on peut l'atteindre.

Donc, si je le veux très fort, je réussirai à devenir Ingénieur Chimiste d'ici juillet. Je le veux, énormément. Que ces études interminables finissent ! Le premier pas a été de réussir ce dernier examen, et ensuite, sans pause, de commencer à réaliser mon “Projet de fin d’études”.
Je continuerais si je ne me sentais pas tout à fait épuisée. Je devrais peut-être dormir 24 heures ou alors ne rien faire pendant une journée entière. Mais le puis–je ? Aujourd’hui, je n'ai pas pu dormir même deux heures : si je ne laisse pas maman écouter la radio très fort, elle me regarde en ennemi, comme si je voulais la tuer. C’est vraiment désolant qu’elle entende[1] si mal. Que faire ? Aller chez Alina ? Je dois finir rapidement ma thèse, mais je dois me reposer, au moins une journée. Ainsi, ce n’est plus possible de continuer.

Et j’ai aussi des problèmes avec l’argent. Depuis un temps, maman n’achète pas ce qu’il nous faut pour manger, ne me donne pas d’argent de poche non plus. Je ne peux pas demander sans cesse à papa, il ne veut plus m’en donner non plus. Je préférerais le jeter par la fenêtre, qu’il advienne ce qu’advient. Mais alors, ce sera de nouveau de ma faute, pourquoi j’ai dépensé à autre chose, l’argent de notre nourriture. Tant pis. Tout argent est horrible. Si je pouvais jamais en avoir dans les mains, s’il n’existait pas du tout. Maman est devenue tellement matérialiste, je ne la reconnais pas. Mes parents, seraient ça ?

Au moins, si je pouvais déjà bien gagner ma vie ! Hélas, je sais, je ne vais pas me libérer d’ici là de l’argent, j’aurai encore beaucoup d’ennuis à cause de lui. Quand on en a aussi et encore davantage quand on n’en a pas. D’autant plus, que je ne sais pas bien m’en procurer. S’il me tombe dans les mains ou que je le gagne, bien, mais je n’aime pas lutter pour l’argent, je n’aime pas ça du tout.

Ne jamais oublier : les amis, bonnes amies, sont bien, mais quand on est dans un grand ennui, on se retrouve très seule. Bien sûr, c’est idéal d’avoir un mariage où l’on vit tous les problèmes difficiles ensemble, mais est-ce possible ? Au moins, dans mon cas ?

Serai-je jamais amoureuse ?

Aurais-je quelqu’un bien pour moi, trouverai-je un homme sérieux, comme il faut pour moi, quelqu’un avec qui je pourrai être plus - ou moins heureuse ? Qui soit mon compagnon et soutien pour le meilleur et pour le pire ?

Cela me paraît maintenant sans espoir. Le film avait raison. Dans le Printemps à Moscou, une fille de vingt-quatre ans affirme : « Les garçons correspondant à mon âge sont déjà mariés ou ils ne veulent plus se marier. Que reste-t-il ? Seulement les divorcés, mais ils ne veulent pas se marier de nouveau, non plus. » Elle a raison, hélas. J’ai presque vingt-quatre ans, moi aussi. Toute fille désire un chez-soi, un mari, un compagnon qui soit là dans les problèmes, un amant. Pour le moment, je suis tout à fait refroidie, ai-je peu de tempérament ?

Je voudrais enfin devenir amoureuse d'un homme plus âgé, tranquille, bon, bien. Même cela me paraît improbable, puisqu’on aime mieux les jeunes filles fraîches, de bonne humeur, courageuses, exubérantes, comme on voit dans ce film. Je me sens de nouveau si isolée. C'est vrai que je n’ai pas revu Alina ni Edith, non plus. Je n’ai plus été en compagnie, depuis quand ? Depuis l’année dernière. Pourtant j'aime être avec les autres, même si ce ne sont pas ceux-là. Depuis que j’ai rompu avec lui.

Je vais me relever de ma promesse de ne jamais plus écrire au sujet de Simon, je n'en ai plus besoin. Je ne pense plus à lui du tout et notre relation me paraît si lointaine, même improbable, comme si ce n’était jamais arrivé, comme si ce n’était pas moi cette fille-là. Je me le rappelle avec mépris et dégoût : comment ai-je pu sortir avec ce type-là ? Je n'arrive plus à croire qu’il y ait eu un temps où je le trouvais bon (pourtant, il n'est pas mauvais). Que tout cela est loin !
J'ai pensé prévenir sa nouvelle. Que m'importe ? En plus, elle ne le mérite pas. Donc, pourquoi ? Je dois trouver un autre groupe, si possible hongrois, pas des roumains comme étaient ceux de Simon.

Il ne faut pas oublier qu'on vieillit. J’élèverai ma fille pour qu’elle commence à s'intéresser aux garçons dès ses quinze ou seize ans et qu'elle se marie vers dix-neuf ou vingt. Qu’elle ne soit pas en retard avec ça comme moi. Même si c'est dur un peu, l'amour stimule dit Cernasevski, dans le travail et l’étude et aide à trouver un but, est-ce vrai ? Je vais prendre un bain, j’espère qu’il m’aidera à me détendre.

Est-ce que quelque chose sortira de ce qui est arrivé ce dimanche ? C'est excellent que Sandou soit réapparu, j'aurai de nouveau avec qui sortir de temps en temps, aller au théâtre ou me promener.

[1] Elle était malentendante depuis ma naissance, mais cela se détériorait de plus en plus


Lettre de ma mère

Cher oncle Hugo, Bucarest, 10 mars 1958

Je sens que tu m’en veux un peu, mais si je pouvais te parler personnellement, tu comprendrais tout. Pista découvre chaque mois un nouveau plan, chaque fois menant à perdre cet appartement. D’abord, il dit qu’il veut aller dans un deux-pièces (où mettrons nous alors les meubles qui n’auront pas de place ?

Il leur en trouvera) ensuite, il dit qu’il mariera Julie à Cluj, sa tante s’en occupera (jusqu’ici c’était lui qui disait s’en occuper.) Ni Julie ni moi ne pouvons déménager à Cluj, Julie travaille ici dans l’Institut de Recherches, Section Matières Macromoléculaires et elle a un bon avenir là et une chambre avec entrée séparée et terrasse dans notre appartement et elle pourrait se débrouiller ici dans sa vie si elle ne recevait pas le droit d’émigrer. Jusqu’à maintenant, on lui a présenté quatre garçons, aucun ne lui plaît, le deuxième est resté bon copain et en a épousé une autre. Elle est trop honnête et ouverte et c’est une enfant intransigeante, il lui sera difficile de se marier, bien qu’elle soit fraîche[1] charmante intelligente et sensée.

On ne peut plus sauvegarder Pista et notre mariage et je suis enfin arrivée à ne plus l’aimer, moi non plus. Il voulait envoyer Julie travailler à Cluj pour la jeter hors de cet appartement.

Il faut que tu saches, les six ans horribles - la partie principale de la jeunesse de Julie – à travailler et apprendre en même temps, ensuite au lieu de vacances, passer des examens. Le bon côté, quand elle aura fini, c’est qu’elle travaillera ici dans la meilleure place comme un ingénieur qui n’aurait fait que fréquenter l’université et quoiqu’on ait constaté qu’au point de vue professionnel Julie est mieux ici.

Pista a fait ce qui suit.

Il disait : « Allons demander un congé sans solde au directeur de Julie » Comme je sais que c’est le premier pas, il ne fait rien qui n’aide pas son futur mariage avec cette femme-là.
J’ai écrit une lettre à Annie disant que je ne voulais pas partir à Cluj et devenir là-bas une femme délaissée - ici je peux au moins donner des piqûres, etc. Le directeur de l’Institut de Recherches est Gabi Hirsch, sa femme Agi mon amie était longtemps la doctoresse de Julie et je lui ai demandé de ne pas déplacer Julie, même si Pista le demandait, et de ne le dire à son mari qu’au cas où cela arriverait. Quand Julie entre chez Gabi faire signer sa demande de congé, il lui dit : « Je sais l’opinion de ton père et celle de ta mère je veux apprendre la tienne. » Bien sûr, Julie dit qu’elle veut travailler où elle était jusqu’à maintenant. Alors, Gabi lui dit : « Dis à ta mère que j’arrangerai les choses comme si j’étais son propre frère » et il est allé aussitôt au service du personnel demander de donner un congé non payé à Julie jusqu’au 11 avril, et ensuite de mettre le garçon qui la remplace ailleurs et de reprendre Julie. Cela paraît donc arrangé.

D’après Pista, un retraité ne peut pas avoir un tel appartement. Pourquoi ? lui ai-je demandé. « Il ne peut pas le payer. » Ce logement coûte 68 lei par mois, 19 par personne, le chauffage pour toute l’année est de 800 lei. Je suis allée chez l’avocat et chez le notaire pour demander conseil et j’ai signé une déclaration par laquelle je m’opposais à faire quoi que ce soit avec le logement. Mais il n’y a rien de sûr, l’office du logement est corrompu et avec des bakchichs ou des relations on peut obtenir d’eux ce qu’on veut.

Cherche s’il te plaît un juriste ou un avocat pour qu’il cherche l’acte que nous avons signé avant le mariage du 11 août 1928 chez le notaire rue Ferenc.

Pista me menace tout le temps « si tu restes seule, ce sera ta faute ».

Julie a reconnu (m’a dit la doctoresse) que maintenant elle voit que ce n’est pas mon idée fixe mais la vérité que Pista prépare notre séparation. Il m’a même pris mes souvenirs. Quand Pista est sorti de sa visite au directeur de Julie à l’Institut de Recherches, il a déclaré « J’ai arrangé Julie. »

Hugo, tu sais que nous avons survécu parce que quand on a déporté ceux[2] d’Italie, j’avais demandé à Pista qu’il obtienne des papiers d’une famille chrétienne. Je ne veux pas que le secrétaire de ma grand-mère parvienne dans des mains étrangères - je dois pouvoir prouver que c’était à moi avant mon mariage, sinon tout est « bien commun ».

Hélas, je dois vivre encore 20 à 25 ans et de dures luttes m’attendent, je voudrais au moins voir la fin de cette guérilla. Je marierai Julie.

Ne te fâche pas, je serai forte quand il le faudra

Je t’embrasse, Katinka

Non, je n’ai pas cru tout ce que croyait maman bien que je voie que mon père la négligeait et ne s’en occupait pas bien. Le reste, je pensais, était dû à sa névrose. J’étais sûre qu’elle exagérait et ne croyais pas qu’il existait quelqu’un de vraiment spécial : une femme d’origine allemande jamais mariée et accaparante’ qu’il voulait épouser et il n’était sûrement pas déterminé à nous laisser tomber. Mon père aurait pu plusieurs fois rester à l’étranger, mais n’envisageait pas d’y vivre sans sa famille.

(Mais après la mort de maman, il épousa exactement une comme ça, donnant raison en cela aux « idées fixes » de ma mère.)


[1] Maman n’avait pas d’habitude de mettre des virgules, ou alors très rarement.
[2] Les juifs d’Italie

C'est réussi !

24 mars
Depuis trois jours, je me sens mal dans ma peau et j'essaie de trouver les raisons. Un mal à l’âme, de la nervosité, etc. Mais bien sûr, bien sûr, mes règles sont arrivées. Dans mon journal, il faudra que je note les 3-4 jours avant : « attention ! danger de querelle ».

3 avril 1958
Encore deux semaines et je dois finir tous mes examens. Il faut que ces trois derniers examens réussissent ! J'ai tant étudié, tant souffert et je me suis tellement fatiguée à cause d'eux - il faut absolument que ça marche ! Il faut y aller en étant décidée d'avance : je passerai coûte que coûte. Et les réussir avec des notes aussi bonnes que possible. J'ai déjà trois ‘très bien’. La note n'est pas vraiment importante: il faut passer !

17 avril 1958

C'est réussi !
J'ai terminé l'université !
Toutes les six années.
Pour le diplôme d’ingénieur, je dois seulement passer l’examen d’état encore, en soutenant mon projet en juin, comme je l’avais projeté.

Et cette dernière année, je n'ai eu que 9 et 10 et même plutôt des 10/10.

Je ne me suis pas donné tant de peine pour rien et j’ai réussi à réaliser ce que je désirais.
Sûrement, le reste réussira aussi bien ! Si tout va bien - et il faut que ça marche ! je serai ingénieur à vingt-quatre ans ! On ne donne pas le diplôme gratuitement.

Je me sens épuisée, mais très heureuse. Je devrais me reposer trois jours jusqu’à lundi si j'en ai la patience. Que c'est bon ce sentiment ! Formidable ! Derrière moi 40 ou 50 examens ; beaucoup d'études, d’inquiétudes – comme s'ils n'existaient plus. Déjà, je pense à eux en souriant. Pourtant, ils ont existé. J'ai réussi à traverser malgré les difficultés. Je suis tellement heureuse, j’aimerais le claironner à tout le monde.

Je me souviens encore aujourd'hui de bonheur ressentie "après". Je me promenais sur les boulevards de Bucarest et je ressentais que dorénavant "tout le monde était à mes pieds" et tout allait merveilleusement bien. Même si la suite ne fut pas ainsi, du tout, cette moment de bonheur resta en moi pour toujours.