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Il faut me tranquiliser!

27juillet 1957

Que c’était beau ! Vraiment. Il aurait été bon “d’aller chez nous ensemble” après, comme il le disait. Je le sens encore. Ceux-ci ont été, en réalité, les premiers vrais... Assis dans le restaurant avec lui, je pensais encore, « que ce serait bon d’y être avec mon mari ». Mais ensuite... Il m'aime vraiment. Beaucoup plus que moi. Ma tête tourne… encore. Au revoir.

Ses baisers brûlent sur mes lèvres. Je croyais que c'était une phrase vide, une forme poétique. Ah la là, j'espère que personne ne lira ces phrases. C’est moi, c’est pour moi. Est-ce vrai ? Ces lignes-ci, je veux que personne ne les voie. Alors, pourquoi je les écris ? D'abord, parce qu’ainsi je fais sortir de moi plus ou moins ce qui bouillonne en moi, et puis, qui sait, une fois, je pourrais l’utiliser. À demain.

28 juillet 1957, le matin

Mon Dieu ! Heureusement je partirai bientôt. Je verrai quelle influence les vacances auront sur moi. Je tremble encore. Davantage ! J'ai réussi à dormir tranquille jusqu'à trois ou quatre heures. Depuis, je me tourmente.

Je dois nager, me défouler, mais papa ne veut pas venir, Édith ne peut pas et Simon ne me téléphone toujours pas. En plus, après ce qu'il m'a dit hier, je ne veux plus sortir ni avec Eugène ni avec Bandi. De toute façon, je ne me sentirai pas bien avec eux. Mais ce n’est pas cela qui est l’important. Je dois bouger J’essayerai de faire un peu de gymnastique.

Il faut me tranquilliser d’une façon ou de l’autre !

Ai-je trop dévoilé mes pensées, hier ? N’aurait-il mieux valu tenir ma langue ? Qui sait. C’est bien que je parte bientôt ! On dit, et c'est vrai : si on attend quelque chose, on fait des rêves, etc. quand on y arrive, on sent « c'est tout ? » ! C’est vrai, (mais pas à propos d'hier soir !)

J'ai du temps, rien d’autre à faire, alors voilà des fragments d’un texte bien vrai.

La pêche, F. Karinti.

La pêche fraîche, odorante, plein de sève douce... pêche rose, avec nuances jaunes dans ses replis tu voudrais y mordre ? Pêche douillette, offerte sur assiette de cristal, enveloppée de soie, pêche gâtée avec nuances dorées... tu voudrais l’ouvrir avec tes mains attentionnées, savourer sa sève sucrée et fraîche, mordre soigneusement dans sa chair ?

Tu en as soif ? tu en as faim ? Si tu as soif… si tu as faim... ne le dis pas ! Ne la regarde même pas, tourne-toi, oublie-la, toi âme malheureuse ! Elle ne brille pas pour toi sur le cristal, détourne-toi, jeunesse affamée, ce n’est pas pour toi, pur et enthousiaste et la bouche sèche.

Retourne au banc d’école, retourne à ton atelier, bureau, usine. Va travailler, lutter, te battre... deviens homme ! Et quand tu deviendras dur, tes mains et ton cœur endurcis... alors, quand tu auras tué la soif, va en sifflant devant la vitrine, allume un cigare - mais n’entre pas !

Si tu sais observer à travers, sans qu'on observe ton regard, en ne paraissant même pas t’en occuper - alors tu verras qu’elle se montrera, sourira, s’offrira, sortira toute seule par la porte. Pourquoi ? Ne demande pas. Tu lui plais, tes yeux froids, ta bouche ironique, ta feinte indifférence...

Tu ne la veux pas ? Tu as déjà bu, mangé, merci, tu n'en veux pas ? Tu penses à autre chose... Alors, elle est à ta disposition, gratuitement, combien en veux-tu de toute façon, quelle est la valeur d’une pêche ?...

Mais attention, si tu mets dessus ta main hésitante !

Quoi, vous voudriez manger une pêche ? Mais cette année, elle est très chère ! Savez-vous combien on l’a soignée et mûrie ! oh, mon amie, il faut payer pour l’avoir – bien, combien elle coûte ? Cela dépend – combien vous en voulez ? Si c’est juste en dessert pour s’amuser après déjeuner. Si vous pouvez vous en dispenser, alors on peut la payer en petite monnaie.

Mais attention, s’il s’avère que tu veux épancher ta soif !

Ah, tu n’as pas seulement soif, tu viens du désert, ouf, non, il n’y a pas d’argent, pas de fortune, pour rien au monde – que penses-tu ? « Je suis une pêche sérieuse ! »

28 juillet 1957, le soir

Heureusement, qu’un soir dégrisant, comme celui-ci, arrive et je m’aperçois que même ses amis le prennent pour un menteur, un orgueilleux pas sérieux. Quand je vois combien d’autres plus beaux, plus intelligents, mais surtout plus sérieux existent. Que c’est bien.

29 juillet 1957, après-midi

J'ai eu de la chance hier soir et Simon pas. Il ne le sait pas encore. J’étais déjà presque tombée amoureuse de lui. Aujourd’hui, je me sens si loin. Ce soir, je voudrais aller au théâtre. Je lui dirai, ce soir ou une autre fois : il peut faire ce qu'il veut (comme il s'en vante), je ne me vanterai pas, moi, je ne le crierai pas sur les toits, mais je ferai moi aussi ce que je veux, avec qui je veux. Je le lui dirai un jour, comme par hasard. Et ce sera vrai.

29 juillet 1957, la nuit

En réalité, tout s'est passé comme je le voulais. Et comme Alina m'avait suggéré un jour. J'ai écouté ses conseils + ceux d’Ovide. S’il le savait ! S'il me connaissait ! était-ce bien, m’a-t-il aidée ou ai-je tout abîmé ? Je pense que ça ira, au moins, si on peut croire aux conseils...

Simon a même déchiré la photo, lui-même. Pas facilement, pourtant. De ceci, je me suis rendu compte. Son geste lui paraissait “un énorme sacrifice”. C'était sûrement la photo de Serina, sa dernière amante. Pendant que nous sortions ensemble. En réalité c'est normal. Mais je lui ai fait « une scène ». Il s'est fâché. Lentement, je me suis rapprochée et il s’est calmé après que je lui ai dit : “si je n'étais pas sûre que tu m'aimes...” Je n'ai pas eu le courage de dire l’inverse. Cela aurait été un trop grand mensonge. Mais il le croit.

Ce n'est pas grave qu'il espère. Il croit qu'après les vacances il obtiendra de moi ce qu'il souhaite. Est-ce bien ? Si je lui expliquais la vérité maintenant (de toute façon je lui dis, mais il ne me croit pas, c’est son affaire), après mon retour sûrement je devrais chercher quelqu’un d’autre.

Je suis aussi mauvaise et ambitieuse que tous. Je veux que ce soit moi qui rompe à la fin, pas lui. Alors, je ne commence pas à trop m’expliquer, le convaincre davantage... D'après Ovide, c'est bien qu’il croie que je l’aime. "Il faut en même temps soulever peur et espoir" disait-il. C’est vrai, qu’il le disait pour une autre occasion.

Je ne sais pas si je n'aurais pas dû le laisser s’en aller aussitôt après et monter chez moi. Peut-être quand même c’est mieux ainsi. J’ai seulement fait un pas ou deux en arrière... pour faire plus tard un pas en avant. De la tactique. Était-ce bien?

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