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Que cherches-tu entre nous?

2 juin 1957

Ce matin j'ai compris quelque chose. Jusqu’à maintenant je l'avais lu, vu, mais jamais ressenti : la haine des foules, des foules ouvrières. Ma haine d’aujourd’hui n'est pas durable, probablement dans quelques heures elle sera oubliée. Mais je crois que quelque chose m’en restera pour toujours.

Je ressens ce qui m’est arrivé, comme un signe.

Dans le livre "Illusions Perdues", Kovàcs, le héros principal est emporté par le flot des manifestants et ne réussit pas à en sortir. Quand il arrive à la maison, il parle avec une terrible amertume des ouvriers. En le lisant, je l'avais compris, mais pas vraiment. Maintenant, je comprends quel fantastique régisseur est Marett. La haine flambe aujourd’hui en moi aussi. Contre des gens que je ne connais même pas.

Si quelqu’un me connaissant avait pu voir mes yeux, mon regard, quand j’ai finalement réussi à descendre de ce tramway pendant qu’ils continuaient toujours à rigoler avec méchanceté en me regardant par la fenêtre du wagon et en me disant avec une joie maligne : “Au moins, tu l'as appris.” Et les autres : “Pourquoi n'as-tu pas pris le 14 qui est vide ?”

Je suis partie travailler, un peu plus tôt que d'habitude, et j'étais à la station un peu après six heures du matin. Je suis montée en deuxième classe dans le tramway n° 13 qui venait d'arriver. Ce n’était pas trop difficile, car il n’était pas encore bondé. Je comptais, comme d'habitude, avancer avec la foule vers la sortie. Deux stations avant la mienne, je me suis rendu compte que je n'avais pas avancé du tout. J'étais encore devant la caisse, presque à l’entrée. Comme c’était le 13, je ne voulais pas aller au terminus (l’usine mécanique), mais descendre deux stations avant, à l’Institut.

J’ai presque vomi. Au début, ça allait encore, j'ai réussi à atteindre le milieu du wagon sans gros problèmes, mais après... “Pourquoi es-tu montée ici? » (et pas dans le 14 comme d’habitude, qui ne va pas plus loin que le laboratoire.) « Maintenant tu descendras comme nous, à l'usine.” Et ils ne m'ont pas du tout aidée à avancer, ne m’ont pas fait de chemin pour que je puisse passer.

Avec ma serviette dans une main, ma blouse blanche fraîchement repassée dans l'autre, je me taillais chemin pour avancer, réussir à sortir à ma station. Il y avait deux personnes plus sympathiques et aussi des officiers qui m'ont aidée. (Et ma volonté de fer : je dois descendre ici.)
Finalement, j'ai réussi à descendre, très difficilement.

Ma blouse est restée coincée à l’intérieur, un officier me l'a passée. Ils ont alors commencé à rigoler cruellement, je vois encore l’image devant mes yeux. Si quelqu'un m'avait photographiée, moi ou mon visage, le titre aurait pu être “la haine”. Ensuite, j'ai presque fondu en larmes, j’ai réussi finalement à me retenir.

Je me suis éloignée le cœur lourd et les poings serrés, j'ai arrangé ma jupe remontée, j’ai contemplé ma blouse blanche complètement froissée, j'ai jeté un dernier regard sur le tramway et je suis partie plus loin. Je me suis mise en route, moi aussi, vers mon lieu de mon travail.
Bien sûr, c'est un joli bâtiment entouré d’arbres et plein des fleurs et je travaille en blouse blanche. Ils savaient pourtant que je ne prenais pas à cette heure-là le tramway pour le plaisir.

Et malgré ça, c'est affreux ce sentiment d'hostilité :
Tu n'es pas comme nous. Qu'est-ce que tu fous ici ?
Pourquoi n’es-tu pas allée avec les tiens...

Ça serait utile de ne pas l'oublier !

C’est quand même bon de rêver - et de se réveiller le plus tard possible ! J'aime l’odeur de l’herbe humide et du gazon fraîchement coupé, les fleurs et la verdure. Je m’en réjouis ! Que Beethoven est grand ! (La cinquième symphonie qui dit : on peut se relever malgré tout.)
Depuis, je pars chaque matin en trolleybus...

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