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Toujours a la montagne

8 août 1957

Avant-hier, je me suis “reposée”. Nous avons visité la colline César seulement l'après-midi. Nous n'avons pas eu le temps d'arriver jusqu'au sommet, mais en descendant nous avons vu un inoubliable coucher de soleil. Une forêt peinte en rouge jaune et un cercle de feu de nuages dorés au‑dessus.

Hier, nous sommes partis faire « un grand tour » (avec Claire et son gamin.) Nous sommes allées jusqu'au bout de la ligne en petit train, puis nous sommes retournés à pied par la montagne, en suivant le ruisseau.

Nous sommes arrivés à travers la forêt au premier "Estena" que j’aie jamais vu, la maison des bergers. Ils arrivent au printemps pour garder les moutons et restent là jusqu'à l'automne. L’Estena était en bois, avec un toit en bois, le sol en bois. Tous les meubles sont en bois : la chaise, le lit et la table de même. Á côté de la porte (en bois), le feu de bois flambe à l'intérieur. Au-dessus du feu, un grand chaudron noir pour faire la polenta qu’on tourne avec une énorme cuillère... en bois. On ajoute du fromage, puis on la sèche sur un morceau de bois.
Sur le mur une énorme fourchette en bois et à côté le manteau du berger noir et un chapeau noir brillant de graisse. Tous les bergers sont habillés pareil, avec des bottes noires, un pantalon “blanc“, une chemise “blanche”, une ceinture très large, un chapeau noir et une veste grise. C’était très intéressant.

Nous avons continué sur la route des fraises des bois et des mûres, le soir six chiens ont menacé de sauter sur nous. Continuons. Forêts, champs, point de vue, en bas, en haut, en bas, en haut. En dix minutes, nous avons cueilli un grand tas de cèpes, ensuite nous avons rencontré un autre Estena tout à fait ressemblant au premier. Nous avons fait des photos, puis nous avons déjeuné, en ajoutant à ce que nous avions le fromage reçu au premier Estena et le jus de fromage reçu au deuxième. Les bergers ont été bien sympathiques, surtout, après les avoir pris en photo... Ils appellent leur patron “l’Oncle”, tous travaillent pour lui.

En continuant notre route, il paraît que nous sommes tombés sur des traces d’ours. C'était une excursion très longue mais fort belle. Vers le soir, nous sommes enfin arrivés à César, là où nous étions avant-hier. Nous avons pris alors une route différente, inconnue et plus dure à passer et nous sommes rentrés seulement le soir à 9 heurs. Je pourrai passer maintenant sans problème les épreuves sportives de sauts d’obstacles ! J'ai sauté au‑dessus des ravins, de l'eau, des haies, des arbustes ; j’ai grimpé, descendu, couru et le tout avec un sac à dos.

Aujourd’hui je me repose. Je lis, je bavarde et si le soleil apparaît, je me bronzerai. Déjà mon nez est tout rouge.

9 août 1957

Dans ce chalet, il y a une agréable atmosphère à la Villa Wagner de la pièce de théâtre de Sébastien. Je me repose. Seulement Stéphane et Jeff manquent, mais je ne ressemble guère à la belle Corinne, l’héroïne, non plus. Ce serait quand même pas mal d’avoir quelques jeunes autour.
Que c'est bon ! Ne plus être à Bucarest, ne pas devoir aller travailler jour après jour ! Ne plus se réveiller dès l’aube et surtout n'être pas obligée de prendre le tramway bondé des gens se bousculant. Quand j'y pense, je sens encore davantage combien je suis bien ici. Hum. Mon chef, le tramway... Plus tard je retourne, mieux il sera.

Subitement je me sens si lasse, même le crayon tombe de mes mains ! Comme s’il était tard dans la nuit… La matinée nous nous sommes amusés à nous raconter des histoires : “Griffes jaunes dans les cheveux noirs... ”

18 août 1957, Colibita

C'est étrange, les vers du Toi et Moi de Géraldy me paraissaient merveilleux à Bucarest, lus dans mon lit, mais les mêmes vers paraissent vides lus à Irène dans un pré plein de fleurs entouré de montagnes. Vont-ils me plaire encore ? Ou bien, le speaker de la radio qui affirmait qu'ils ne valaient pas grand chose avait-il raison ?[1]

Pourquoi me suis-je querellée avec ma cousine que j’aime tant ? Nous avons été toutes les deux bêtes, nous nous sommes enflammées trop vite. Et quand elle m'a frappée, j'aurais dû le lui rendre moralement et pas comme je l’ai fait : je l'ai presque frappée comme si j'étais encore une enfant moi aussi. (Elle a treize ans).

Je ne me sens pas encore tout à fait adulte, c’est vrai aussi. Si la différence d'âge entre nous était plus grande et si nous étions moins amies, cela ne serait pas arrivé. J'aurais dû m’arrêter de jouer quand elle s’est énervée n’aimant pas perdre, mais j'adore jouer au Monopoly et ça marchait si bien pour moi que je n'ai pas pu me décider. Elle ne l’a pas supporté. Je ne devrais pas être une joueuse aussi passionnée, non plus.

Comme mes cousines sont devenues resplendissantes ! Agnès est piquante avec ses magnifiques cheveux auburn et ses petites taches de rousseur, Mariette est belle avec ses grands yeux noirs et ses longues nattes noires, magnifiquement bronzée. Je voudrais bien avoir des enfants belles comme elles!

Mais... gentils et sages comme le fils de Claire. Avant-hier, nous avons été avec Claire et son fiston à la “Tête d'Ours”. Belle vue, air agréable et quelles odeurs ! Qu’il serait bon de prendre un peu d’air de la forêt dans une bouteille et de le rapporter à la maison ! L’air, les odeurs sont si purs, si enivrants dans ces collines ! J’en m’en suis tellement réjouie.

Ces beaux chemins de forêt me ravissent, ils me rappellent quelque chose... Quoi ? Mon enfance, les promenades avec mes parents sur les petits chemins à Commando. Et ma cousine Poussin, mes grands-parents du village forestier...

J'ai aperçu hier devant l’hôtel un beau garçon, “mari possible”. Je n’ai pas fait sa connaissance et je ne le connaîtrai jamais, il est reparti avec sa moto. Si j’étais sensée, je devrais me marier avec un homme moche, mais je n'arrive pas à me décider. C'est vrai, le premier garçon dont j’étais entichée (Moise) n’était pas beau, mais...

[1] Je les aime encore. Bien regarder quand et avec qui l’on partage quelque chose qui nous enchante.

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