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Quatrième journal

4e journal (1952-1953)




Un cahier d'écolier

J'ai tellement caché ce journal, dans lequel j'écrivais des "choses interdites" que très longtemps, des années, je ne l'ai plus retrouvé, le croyant déjà perdu. Puis un jour, le voilà, près d'un ancien livre. Aussitôt, je m'y suis mise à le traduire et j'ai retrouvé avec joie cette jeune fille de dix-neuf ans.

Quatrième journal


Juli20ProfilEn plus, mon désir secret est toujours de devenir un écrivain, et je n’écris pas toujours. Je n’arrive pas à écrire, parce qu’il y a énormément d’attentes pour une pièce de théâtre ou un récit, on demande beaucoup pour qu’ils soient publiés et ils ont raison : le livre sert à éduquer et n’a pas le droit de mal orienter. Écrire pour moi-même peut être considéré aussi comme exercice d’écriture future. Réfléchir est facile, cela vole et l’on ne doit pas se demander si c’est bien exprimé, ou si l’orthographe ou la grammaire sont bonnes. Surtout, mes pensées ne sont pas interrompues quand ma main commence à me faire mal de fatigue ou que je n’arrive pas à écrire assez rapidement. Si je savais taper à la machine à écrire, je pourrais aller plus rapidement. Mais les pensées s’envolent avec grande vitesse. Quand on écrit, on arrive trop vite à la fin de ses réflexions parce qu’il faut aussi dépenser de l’énergie sur l’écriture.

Dire, raconter, conter à quelqu’un, d’après moi, c’est entre les deux. D’abord, c’est mieux que penser, parce que cela prend des formes plus figées et comme l’autre est là, il écoute s’il veut, n’écoute pas sinon, il faut que ce qu’on dit, soit plus intéressant. Mais avec la difficulté de l’exprimer, de le prononcer d’une certaine façon, de l’accentuer et aussi de rendre sa fluidité. Si j’ai quelqu’un d’assez patient, faisant attention à ce que je dis et qui ne m’interrompt pas tout le temps (parce que je raconte lentement), alors je sais assez bien raconter. Mais le fait qu’à l’école et avec la plupart de mes amies je parle roumain, ralentit mes paroles en hongrois. Je m’exprimais plus facilement et mieux, j’écrivais plus correctement en hongrois jusqu’à ce que j’aie quitté Cluj, il y a quatre ans. Et si j’allais à Iasi, vraiment je ne sais pas ce qui arriverait (là-bas, on ne parle que roumain).

Quand on écrit pour soi-même, on a une liberté complète. Au moins, celle qu’on se donne à soi : par exemple je voudrais bien laisser tomber quelques mots ici ou là pour aller plus vite mais je m’efforce, autant que possible, d’écrire correctement.

Je dois me décider à écrire régulièrement, chaque jour. J’ai tant à dire ! Même si j’écrivais un jour par mois pendant des heures et des heures, cela ne suffirait pas.

En revenant à la maison, je réfléchissais à ce que j’écrirais dans ce journal, comment commencer, mais en pensée c’était plus beau. Je décide d’écrire dorénavant tous les jours, même si ce n’est que trois lignes. Un cahier est bon marché, quand celui-ci sera rempli, j’en achèterai un autre avec 0,86 lei.

Je n’ai pas peur que quelqu’un le lise. D’abord, personne ne se rendra compte que ceci n’est pas un cahier d’études comme les autres, puis même si on le lit, eh bien : on verra comment je suis - ou si cela n’est pas possible, au moins comment j’étais, comment je pensais au moment où j’écrivais ces lignes. De toute façon, après un certain temps (un mois ou des années) je montrerai mon journal à quelqu’un. Je n’arrive jamais m’enfermer longtemps. En conclusion, je ne décrirai pas les événements les plus intimes : ce ne serait pas bien si ce que j’avais écrit tomberait un jour dans les mains d’un malveillant. J’ai plusieurs amies, Alina, Tina et Claire qui ne savent pas le hongrois, à Édith et Vera je ne montrerai que les passages où je ne parle pas d’elles, et puis c’est tout.

Chaque fois ce que j’écris peut avoir deux parties : l’une, ce que je pense en général des événements (je n’ai pas honte d’eux et j’en prends la responsabilité, même si mes opinions changent après un certain temps) et l’autre, décrire ce qui est arrivé ce jour-là et ce que j’en pense. Je crains d’utiliser trop de papier et trop de crayon. Tant pis.

Bien, maintenant je raconterai la journée d’aujourd’hui.

Le fait que depuis un mois je vais à l’école des Antibiotiques, je le sais, et si je le mentionne ici c’est seulement pour quelqu’un qui un jour lira mes journaux, pour qu’il comprenne et puisse le relier avec mon dernier journal.

La dernière fois j’écrivais pendant... [l’agonie] de Staline. Je n’arrive ni à le prononcer, ni à l’écrire, je ne peux pas. Enfin, la dernière fois, j’avais écrit sur lui. Depuis, je ne suis pas arrivée à finir ce journal-là. Un jour, je le terminerai. Peut-être, quand je serai à l’usine ou alors quand j’aurai eu des résultats dans mon travail. Ou seulement quand je deviendrai membre du Parti. Je ne crois pas le devenir, puisque, d’après moi, seulement un vrai communiste peut devenir membre, et chez moi, un communiste, un bolchevique, doit être un être très spécial, ce nom je l’accorde à très très peu.

Peut-être à Csizmadia et même à lui seulement 3/4. Bien sûr, tout cela encore très éloigné pour moi, devenir tel que je conçois que devrait être quelqu’un pour mériter ce nom.

Malheureusement, il y a beaucoup de membres du parti, énormément hélas, par rapport à qui je serais nettement mieux, mais ce n’est pas l’essentiel.

J’essaie de n’utiliser que des mots hongrois, mais cela ne me réussit pas toujours, ces jours-ci je parle de plus en plus roumain. Je trouve avec difficulté le mot approprié, pourtant il en existe toujours, la langue hongroise est très riche. Je devrais l’étudier davantage.

À l’aube, je me suis prélassée sans rien faire jusqu’à six heures. Ensuite, j’ai relu la “ Chimie Physique ” et j’ai résolu cinq problèmes qu’on nous avait donnés. (Écrire en hongrois au sujet de l’école c’est dix fois plus dur.) Au cours sur les produits Antibiotiques, j’étais fort nerveuse et j’ai vexé Tina (je l’ai vite regretté, trop tard ?)

En sortant de Polytechnique, je suis allée retirer mes photos : je ne les aime pas du tout. Le photographe m’a agrandie, embellie, il a caché mes taches de rousseur, gommé certains traits, la photo ne montre pas une certaine gentillesse, grâce, spécificité que j’ai. Et pas du tout l’intérieur. Même le sourire est forcé. C’est normal, quelle idée de mettre juste devant mes yeux, là où je devais regarder pendant qu’on me photographiait, la photo encadrée de noir de Staline. Quand je voyais ça, je n’avais plus aucune envie de rigoler.

Me voilà revenue chez moi et dépensant la mine de mon crayon, il ne me reste qu’un petit bout. J’ai déjà écrit cinq pages. Cela sera assez pour aujourd’hui. Je suis ainsi, quand je m’y mets avec élan, j’écris, j’écris et je ne m’arrête plus : je serais capable maintenant de remplir d’un coup tout ce cahier. J’ai plein de pensées qui s’accumulent et attendent. La plupart des gens réfléchissent peu, hélas, moi aussi. On fait énormément de choses sans réfléchir, en n’y pensant que plus tard, souvent il arrive que je ne sais pas pourquoi j’ai agi ainsi et pas autrement.

Mon horizon s'est élargi

18 avril 53

Déjà, je n’ai pas tenu ce que j’avais décidé, d’écrire chaque jour. C’est vrai, hier rien de spécial ne s’est passé et j’étais fort occupée.

Le matin je n’avais pas encore de quoi écrire et après l’école, Tina, Radu et Sylvie sont venues chez moi. Puis Alina. Ensuite ma mère est revenue malade de son travail. À six heures d’après-midi, je suis allée avec Tina à l’université pour un séminaire de trigonométrie. En revenant, je n’ai plus pensé au journal et j’ai essayé d’apprendre un peu de Russe, une belle chanson sur Staline...

Je me suis mise depuis peu à lire beaucoup de livres à la fois; la 11ème, 12ème, 9ème œuvre de Staline, “ L’art et la réalité esthétique ” de Cernesevsky, “ Sur la littérature ” de Lénine, “ L’histoire des Arts ” de Van der Loor, “ Le Russe ” de Popova et en plus, bien sûr, mes livres de microbiologie, trigonométrie, chimie physique, etc. C’est bien de varier un peu ce qu’on étudie et ce qu’on lit.

Maintenant par exemple, je n’ai plus grande envie de continuer à écrire, je voudrais plutôt réaliser trois caricatures d’après les idées que nous avons eues sur nos trois professeurs de Microbiologie et nous les avons imaginés : l’un enfermé dans une boite de Pétri, l’autre faisant une publication académique sur ses dernières découvertes et le troisième effrayé, des formules de math et des graphiques tournant autour de sa tête.

Vera me manque depuis quelques jours et Marthe aussi. C’est bien, même si nous sommes loin l’une de l’autre d’avoir d’anciennes amies et quand on se rencontre on se retrouve. Ni moi, ni elles, ne sommes plus comme nous étions, il y a quatre ans, quand j’ai dû quitter Cluj, mais d’une certaine façon nous avons changé dans les mêmes directions, enfin, presque. J’espère qu’il en sera ainsi encore longtemps. C’est un sentiment très agréable.

Alina a déjà d’autres idéaux et d’autres buts que moi ; si un jour on devait se séparer, que se passerait-il alors ? J’espère que nous ne deviendrons jamais des ennemies parce que je l’aime beaucoup. Pourquoi ? Je n’arrive pas à l’exprimer. Je sais qu’elle m’aime aussi[1].

J’aime Édith, mais je ne suis pas assez attentive envers elle : combien de fois ai-je décidé de lui acheter des crayons de couleur et je ne l’ai pas encore fait. Je l’admire, à seize ans à peine, elle a beaucoup de qualités que je n’ai pas; j’ai surtout beaucoup de peine pour elle. Elle est dans une situation difficile.Nous nous entendons très bien parce qu’en général nous avons les mêmes opinions (issues du même milieu, nous aimons aussi les mêmes poèmes et textes.) C’est pourquoi je suis allée chez elle le jour où j’ai appris le mort de Staline. C’était un horrible coup et mes collègues l’ont pris en haussant les épaules; c’est seulement l’événement en soi qui les a intéressés. Je n’ai pu rester avec eux.

Hélas, je dois partir maintenant pour l’Université, nous avons des expériences à faire au laboratoire de physique. Au revoir, mon journal, à ce soir ou à demain.



Julie ne mentionne pas les horribles difficultés d’Edith. Depuis plusieurs semaines sa mère et son beau-père ont été arrêtés, se trouvant dans les caves de la Sécurité politique, comme ce fut le cas pour le père de Julie : cela les a aussi fort rapprochées.



20 avril, 53

Hier après-midi, j’ai participé à une conférence fort intéressante à laquelle ont participé un étudiant coréen, un chinois, un iranien et une belle jeune fille turque. Nous avons voyagé à travers plusieurs pays et le conférencier, un garçon de 17 ans parlant très bien de chaque pays : Japon, Corée, Chine, Vietnam. Puis il a parlé de l’Inde et de l’Iran qui était autrefois la Perse, ils avaient un poète nommé Firduzi. Dommage que la conférence fût mal organisée et que le tourne-disque se soit abîmé, on devait écouter les chants de divers peuples. En Turquie, le parti communiste est illégal.

Je me suis souvenue à cette occasion du merveilleux poème de Nazim Hikmet.

Non, docteur, ne cherche pas, mon cœur n’est pas ici
Il vole au-dessus la rivière jaune chantant le combat
Avec les soldats chinois luttant pour leur liberté
Armes en main, ils marchent

Non, docteur, ne cherche pas, mon cœur n’est pas ici
C’est en Grèce regardant la lumière sanglante de la lune
Où l’on veut tuer toute la jeunesse
Il lutte héroïquement pour la liberté.

L’une après l’autre, nous aurons des conférences sur la Grèce, la Yougoslavie, la Hongrie, la Roumanie, l’Allemagne, la France, l’Espagne, l’Amérique et l’URSS.



22 avril

Je devrais avoir honte de n’avoir pas écrit hier, mais Alina a dormi chez moi, puis ma pauvre maman est devenue très malade, elle avait un furoncle qu’il fallait opérer. J’espère que maman n’en aura pas de nouveau un, encore plus gros. Je la plains énormément, depuis un certain temps les malheurs la frappent les uns après les autres.

Ce soir, j’étais à l’université pour un cours de trigonométrie, hier pour un séminaire de chimie, mais je n’arrive plus à trouver le temps d’étudier pour l’université, il y a un tas à apprendre pour l’école des Antibiotiques aussi. J’ai acheté enfin les crayons de couleur pour Édith, mais je n’ai pas encore pu les lui offrir : nous ne nous sommes pas encore rencontrées.

Demain, nous avons à l’école d'Antibiotiques un “jour modèle” en l’honneur du 1er Mai. J’espère qu’il sera réussi, cela dépend surtout s’ils étudient cet après-midi.

L’homme change beaucoup. Moi aussi, depuis une année, surtout depuis que j’ai fini le lycée technique de chimie, j’ai beaucoup changé. Extérieurement bien sûr, mais surtout intérieurement.

J’ai lu (et vu aussi) une pièce dans laquelle les élèves d’URSS ayant terminé leurs études en 1949 se rencontraient un an plus tard et se racontaient ce qu’ils avaient appris dans “ la vie ”, avec quelle sorte de gens ils se sont rencontrés, ce qu’ils ont vécu et ce qu’ils ont compris. Quelle grande différence avec ce que nous avons découvert, hélas ! Mais je crois que là-bas la situation est différente, l’atmosphère meilleure et puis, l’écrivain a dû aussi l’idéaliser. Cette année m’a aidée. La fabrique aussi, puis Alina et certains collègues de l’école d’Antibiotiques. Je voyais tout trop unilatéralement. Mon horizon s’est élargi. Je réussis à mieux comprendre les gens.

Avant, j’essayais changer les autres, les pionniers, mes camarades de classe, tant au cours des réunions qu’en privé, etc. mais sans y réfléchir plus sérieusement. Puis, il y eut un temps où je me disais déjà, et c’est encore valable partiellement, que je n’arriverai pas à changer qui que ce soit d’un iota, que ce n’est pas possible, ou au moins que je ne sais pas comment le faire. Je m’y suis résignée. Maintenant, je me rends compte que les gens changent. Et pas un peu.

On peut influencer leurs pensées et leurs comportements. Pour cela, il faut plusieurs choses : d’abord, les connaître bien ; puis bien choisir le moyen qui peut influencer chacun ; et ce qui est le plus important, qu’on donne de l’importance à ce que tu dis, te respecte, t’aime. Si par exemple Alina me raconte ses problèmes et que je lui donne mon opinion, ou quand je dis en général mon avis sur quelque chose, cela peut provoquer une réflexion. Mais pour des problèmes sérieux, je n’ai pas réussi à influencer quiconque volontairement ; sans le vouloir, oui, Alina, Vera et même Tina.

[1] 55 ans plus tard, notre amitié tient toujours

Punis à cause de leurs parents...

27 avril 1953

Aujourd’hui beaucoup de choses tourbillonnent dans ma tête, j’ai réfléchi à beaucoup d’évènements. Sur la guerre, la paix... Le discours d’Eisenhower et la réponse des Soviétiques ont été le point de départ de mes pensées. Aussi sur l’école de spécialisation d’Antibiotique, combien c’est mal organisé, mais relativement elle ne va pas si mal.

Je viens de discuter avec Claire des raisons pour lesquelles on ne nous a pas laissées aller à l’Université à la sortie du lycée. La raison pour laquelle nous sommes obligés de suivre les cours par Correspondance, tout en travaillant.

Est-il juste que les enfants soient punis à cause de leurs parents ?

On dit souvent “c’est bien tel que c’est, ils ont raison de... ”, en théorie on peut approuver, mais en pratique, on ne le voit pas ainsi ; et si plusieurs coups durs arrivent en même temps c’est fort difficile de les supporter. Mais je ne décrirai pas maintenant mes pensées sur tout ça. J’ai aussi réfléchi, faut-il être ouverte et vaut-il la peine d’être sincère (oui!) quand ceux qui ne le sont pas réussissent mieux et ont une meilleure vie.

L'histoire d'une stage

Ou comment marchait l’économie des pays sous tutelle soviétique…

2 mai1953

Je voudrais écrire sur l’histoire de notre école d’Antibiotiques et mon opinion. Comment tout a commencé, je ne le sais pas pour sûr, mais cela a dû se passer approximativement ainsi :

L’usine de pénicilline

Quand ils ont préparé le premier plan quinquennal, à l’Industrie pharmaceutique en s’apercevant de l’importance de la pénicilline et des autres médicaments antibiotiques et vu combien d’argent il faut dépenser pour les obtenir des pays étrangers, on a décidé, qu’à la fin des cinq ans, à côté d’une fabrique de synthèse des médicaments, on construirait une fabrique de pénicilline et plus tard une de streptomycine. C’était le début.

Ensuite, je pense, qu’ils ont réuni les directeurs des Instituts de Recherches, ceux des Projets, ou leurs meilleurs ingénieurs, sûrement aussi le professeur Nenitescu de l’École Polytechnique, le ministre, j’ai entendu que Chivu Stoica était aussi présent, et ils ont commencé à discuter pour voir comment réaliser ce plan.

La décision a dû être (bien sûr comme le conseiller soviétique était présent , lui aussi) qu’on ferait selon les procédés soviétiques, ils importeront aussi les appareillages de l’Union Soviétique, on construira l’usine avec leur aide. Ils ont décidé aussitôt que cela serait fait à Iasi, d’abord – et je crois que c’était le motif principal – il fallait industrialiser la Moldavie et Iasi. Mais pourquoi juste avec ceci ? En plus, ils font construire là aussi une usine de bicyclettes et une de médicaments de synthèse, etc. J’ai entendu, Florescu, notre ministre de Chimie et aussi un autre ministre, sont originaires de là.

Les Soviétiques ont contesté que l’usine soit à Iasi, ils ont dit qu’outre qu’il n’y a pas de bonne eau, de gaz, de matériel, surtout pour cette industrie, il manque là la main d’œuvre appropriée. Il faut des gens très propres, ordonnés, habitués au travail semblable. Ils ont conseillé de faire bâtir l’usine en Transylvanie où toutes ces conditions sont déjà réunies. À la fin, elle sera quand même bâtie à Iasi. On amènera aussi des ouvriers d’ailleurs.

Les Soviétiques ont affirmé alors qu’ils ne transmettraient pas l’usine, l’appareillage cher, l’aide en tout et même au démarrage par leurs propres techniciens, sauf s’il s’agissait de gens bien préparés qui s’y connaissent.


Le travail a commencé.

Nous avons reçu de l’Union Soviétique les plans de l’usine de chez eux, tout presque prêt. Les responsables de projets ont reçu la tâche de la traduire selon le contexte d’ici. Les appareils qu’on peut, seraient construits chez nous, les autres importés.

Ils ont finalement décidé l’emplacement exact de l’usine, non pas à Iasi, mais dans un village à dix kilomètres de la ville. (Village d’où le Ministre était originaire.) Ils ont conduit jusque-là une voie ferrée, installé des canalisations d’eau – parce qu’il n’y avait que des fontaines auparavant.
Aussitôt que le temps s’est réchauffé un peu, au printemps 1953, la construction a commencé. Plus de 700 personnes travaillaient pour que l’usine et son environnement soient prêts. Le plus important, bien sûr, est la fabrique elle-même, mais ils se sont souciés aussi sérieusement de son encadrement. Il paraît que Chivu Stoica lui-même, responsable de l’Industrialisation de la Moldavie, a parcouru les plans et a obtenu leur amélioration et même que l’usine soit plus près de tramway.


Nos dirigeants et leurs caractères

Les plans sont jolis, mais il faudrait aussi les réaliser. Ils ont nommé dès le début Vasilescu, Ingénieur chef de l’usine, un homme en apparence fort mou. Il ne plait presque à personne. (Je dois noter, que j’écris seulement ce que j’ai entendu ou pense et d’un côté c’est possible que cela ne soit pas passé exactement ainsi, mais, j’ai sûrement laissé de côté des choses importantes.) Vasilescu promet tout à tous, mais à la fin sa promesse ne se réalise pas et toujours pas de sa faute. Est-il responsable. Non.

Ils ont nommé un peu plus tard le directeur de l’usine : qu’il reste longtemps. Jusqu’alors il travaillait à Iasi pour le parti communiste. Je crois qu’il est aussi ingénieur, mais c’est possible qu’il ait fini plutôt l’université marxiste, de toute façon, quelque chose. Je sais de lui qu’il donne des cours de marxisme à Iasi. Aussitôt que nous l’avons aperçu, nous tous venant du lycée technique de chimie, chacun séparément a pensé « il est tout à fait comme Tugurlau. »

Tugurlau était un très bon directeur communiste, malheureusement il n’est resté qu’un an à cause des intrigues. Après lui, nous n’en avons eu aucun de la même trempe, hélas. Jusqu’à maintenant, nous sommes convaincus qu’il est courageux, il sait ce qu’il fait et dit et c’est un homme bien. Un homme. Je sais aussi qu’il aime aller à l’Opéra et connaît la famille d’Agnès. J’espère que nous ne serons pas déçus par lui.

Depuis, j’ai entendu que dans son travail, il sauterait à gauche et à droite ce qui cause des problèmes. J’espère, ce n’est pas vrai. J’ai aussi observé qu’il utilise Thibaut pour faire ses courses (acheter des billets d’opéra, réserver des places de couchette, etc.) ce qui ne me plait pas du tout. Ensuite, en entendant que Thibaut était bruyant à l’école et qu’on a dû le mettre hors de la classe, il lui tape l’épaule. Il n’aurait pas dû attraper ceci de Vasilescu.


Le sort des techniciens

Je ne sais pas comment on prépare les ingénieurs, je ne sais pas d’où ils les prendront, mais je sais comment ils préparent les techniciens. J’ai entendu que la moitié de l’usine sera composée de techniciens et d’ingénieurs.

Au Ministère de la Chimie, il y a une section « Collectif Technique pour les Nouvelles Unités » préparant les cadres nécessaires pour celles-ci. Quand nous avons terminé l’école, l’été 1952, ce ministère, dont dépendait notre lycée technique, a envoyé une partie d’entre nous à l’université, l’autre vers les fabriques (je parlerai de tout cela une autre fois). Ils ont surtout envoyé en province et surtout pas dans les cadres pour lesquels ils étaient préparés à l’école.

À la fin, tous ceux qui ont voulu, ont réussi à se débrouiller pour rester à Bucarest. Mais il n’y avait plus de place à l’Institut de Recherche (où beaucoup d’entre nous auraient voulu travailler.) Que faire ?

Nous avons signé un contrat de sept ans avec les Unités nouvelles, stipulant que nous resterons deux ans à Bucarest (nous à l’Institut de Recherche, d’autres à la fabrique de Colorants ou de Médicaments) et ensuite, nous irons où l’on aura besoin de nous. Nous n’avons pas pensé sérieusement à ces sept ans, presque tous voulaient entrer l’année prochaine à l’Université ou alors on pensait que d’ici là une place se ferait et nous restions définitivement à travailler là où on avait commencé.

À partir d’ici, je suis aussi impliquée et j’écris avec beaucoup plus de difficulté.

Entre temps, ils ont envoyé deux techniciennes ayant fini une année avant nous à Moscou pour apprendre pendant six mois ou une année. Quant à nous, le plan était que nous commencions à apprendre dans plusieurs sections des usines où nous étions repartis, en faisant un mois dans chaque section. Finalement, on nous a ‘oubliés’ à la première section où nous étions : nous étions une main d’œuvre gratuite (le ministère payait) et le travail était bon.

En général, nous nous sommes bien débrouillés et ils étaient contents de nos prestations, de notre travail : quand ils ont entendu plus tard que nous partons, les dirigeants de l’usine ont essayé d’obtenir qu’on y reste, sans succès, c’était trop tard.


L’école d’Antibiotiques

Je crois que dès que les Soviétiques ont déclaré qu’ils ne passeraient l’usine prête qu’aux gens compétents, on a décidé de créer notre école. D’abord, à Iasi, mais comme, heureusement, ils n’ont pas trouvé d’enseignants appropriés là-bas, ils se sont résignés à ce qu’elle soit à Bucarest et qu’elle dure une année. Les cours auraient dû commencer le 1er janvier 1953 avec 25 à 30 techniciens chimistes, pharmaciens et quelques ingénieurs. On a confié la tâche de trouver les cadres à Toma (responsable des cadres de chimie organique du ministère.)

Et regardez ce qui est arrivé !

D’abord, pourtant selon les livres comptables, nous avons commencé à fréquenter au début de l’année, l’école d’Antibiotique ne s’est ouverte que le 19 mars. Puis, ce qui est le plus significatif, avec qui ?

On nous y a mis, nous 20, automatiquement.

Au maximum 5 d’entre nous, voulaient y aller, surtout les garçons menacés sinon d’aller à l’armée et fuyant devant cela. Les autres, aucun ne voulait atterrir à Iasi, encore moins pour les six ans et demi qu’il nous restait (nous avions signé six mois avant la convention.) Ils nous ont alors menacés de nous envoyer à UCA Fogaras (extraction d’uranium souterrain), etc. Ils nous ont contraints d’aller à cette école, non en nous convainquant, puisqu’ils n’ont pas réussi à détruire nos arguments, mais avec la force.

Mais rien n’est impossible quand on le veut très fort.

Un des garçons a convaincu le Ministre de le laisser partir. Viorica, je sais comment (nous l’avons vu se promener avec Toma.) Cella, d’après ses dires, par la résistance passive (mais elle sort avec des copains, fils de dirigeants) et elle a même réussi entrer à l’Institut de Recherches. J’écrirai sur elle une autre fois.

Finalement, sur 20, nous sommes restés 12.

Certains, comme Agnès, convaincus par leurs parents, d’autres, comme Florica, fatigués de lutter, d’autres, Bathia, puisque les parents leur ont dit de le regarder comme un repos, les garçons pour éviter l’armée, très peu pour l’avoir décidé d’eux-mêmes. J’ai été convaincue par ma conscience et les livres soviétiques, mais en premier lieu, Staline. Sa mort était décisive, le lendemain, j’ai signé la convention et j’ai décidé d’aller à Iasi. Tina, elle aussi, a signé à cause de sa conviction de membre de l’Union de Jeunesse.

Mais entre les 12 techniciens chimistes restant dans l’école, au moins 6 sont décidés à n’y pas aller après la fin des cours. Toma le sait bien, lui aussi. Mais sûrement, cela n’est plus de son ressort. Mais notre directeur d’école, (et je crois aussi Rotaru, le directeur de l’usine), ne le sait pas ou ne le croit pas. Bon, on verra dans un an. Est-ce la peine de leur dire ? On ne peut pas aller vers Rotaru avec ça de but en blanc, pourtant Tina aurait voulu l’avertir. Le directeur d’école, ne le croit pas, naïf.

Mais on n’est arrivé ainsi qu’à 12 au lieu de 30, loin même de 25.

Ensuite, pour augmenter le nombre, Toma a pris n’importe qui. D’abord, les techniciens ayant fini une année avant nous voulant fuir l’armée, préférant étudier en étant payés pendant une année au lieu de devenir soldats ; puis ceux ayant fréquenté un lycée et ne sachant que devenir ; certaines femmes avec enfants qui ne veulent pas aller à Iasi après l’école mais gagneront le procès au tribunal ; des pharmaciens voulant apprendre un peu de chimie ; même un technicien métallurgiste. Ainsi, au fur et à mesure, nous sommes arrivés à 25.


Le directeur d’école

Entre temps, il fallait chercher des enseignants. Ils ont amené le directeur d’Iasi. Il serait un homme assez bien, s’il ne se couchait pas devant tous les chefs et ne prenait pas leurs mots pour l’Évangile. Il croit tout, même de l’ignoble Toma qui pourtant dément le lendemain ce qu’il avait dit la veille. Notre directeur travaille beaucoup, mais pas toujours bien. Il a peur, alors il est indécis. Il n’a pas d’avis ou alors, il n’ose pas l’affirmer. Pourtant, il a de la bonne volonté. À partir d’un programme trop difficile, à notre demande, mais je crois aussi en consultant ceux « d’en haut », il a créé un programme facile et bon.

Quand nous lui avons dit notre avis, il était contre nous, mais ensuite, il a bien réalisé ce que nous lui avons expliqué. Je crois qu’il faut être déterminé en face de lui. Il ne m’aime pas, au contraire.

Pourquoi dois-je donner mon avis, sans cesse dire la vérité. Je devrais mettre un verrou sur ma bouche ! Et surtout, quand je sais que les paroles ne changent rien. Il est membre du parti communiste, mais ce n’est pas un communiste. Et hélas, il n’y se connaît pas dû tout en chimie. Connaît-il au moins la pédagogie, la philosophie ? Où alors, il répète seulement ce qu’il vient de lire des livres soviétiques ? (Bien sûr, je doute qu’il connaisse l’ancienne philosophie ou pédagogie.) Comme il le dit, lui aussi, depuis vingt ans, il n’avait plus à faire avec des étudiants.


Les enseignants


Au début, il était question de nous donner des Professeurs de Faculté. Ensuite (à cause des maladresses), ils n’ont pas trouvé même des Assistants. La plupart de nos enseignants viennent de l’Institut de Recherche des Antibiotiques. Pourquoi pas, la paye est bonne. Ils sont tels quels.
Les trois enseignants de Microbiologie paraissent bien, mais sont de piètres pédagogues. Nous, ayant déjà étudié pendant 12 ans, reconnaissons aussitôt un prof et savons comment devrait être un bon enseignant : bien expliquer et beaucoup exiger. Comme nous ne savons pas du tout de microbiologie, je ne peux pas estimer s’ils connaissent bien ou non leur métier, chacun nous raconte son travail.

Notre meilleur prof est Sternberg, il fait le cours de Chimie Physique. Il sait bien l’expliquer, c’est une bonne tête. Aussi celui de Technologie, mais il est paresseux. L’autre, un peu moins, c’est un homme comme il faut mais faible.

La Chimie Organique est enseignée par un Pharmacien, ce qui dit tout. Il en sait moins que les deux tiers de la classe et, hélas, il est sot. Si on le dit au directeur (bien sûr avec un peu plus de tact que ce que je viens d’écrire), il répond : vos enseignants sont tous des sérieux savants, s’ils n’ont pas de dons pédagogiques, je leur enseignerai. La langue russe nous est enseignée par une femme n’ayant aucun sens pédagogique, non plus. Mais son mari, il en a plein. Et le livre de Russe, recommandé par Rotaru est bon. Il aurait été mieux si c’était Sternberg qui nous apprenait le Russe, il le sait bien. Mais la Chimie organique, n’importe quel technicien parmi nous pourrait mieux l’expliquer que ce pharmacien, même un des élèves pharmaciens s’y connaît mieux que lui. Bien sûr, tous les pharmaciens ne sont pas nuls. (Mon père est aussi l’un.)

À cause de Toma ayant trouvé les élèves futurs cadres tel qu’il a procédé, la moitié de la classe a un niveau nettement plus bas que la nôtre. Ce n’est pas leur faute. Mais nous devons le souffrir, et surtout notre préparation s’en ressent. Nous apprenons plein de choses, déjà bien connues, paraissant compliquées et difficiles pour les autres, mais ils sont obligés de l’apprendre (et souvent d’un mauvais prof). J’imagine, combien de choses importantes nous pourrions apprendre entre temps, à la place.

Il y a encore d’autres problèmes, surtout autour des travaux pratiques, mais l’école marche, les élèves apprennent plus ou moins et il y en aurait qui pourraient reprendre l’usine en main. J’écrirai davantage une autre fois, j’ai déjà usé toute une matinée pour écrire. Au revoir, mon journal.

C’est ici que s’arrête, ce que j’avais écrit, alors.
Mais l’histoire ne s’arrête pas pour autant.

Une fois l’usine construite ; les techniciens soviétiques l’ont mise en marche difficilement et lentement (nous ne savions pas encore qu’en Roumanie ils vivaient tellement mieux que chez eux), mais finalement, ils l’ont mise dans les mains des Roumains. Enfin la Roumanie a eu de la pénicilline sans devoir payer, outre qu’aux Soviétiques pour les plans, les appareils et l’aide…

Avec le temps, mais assez rapidement, on se rendit compte qu’on a fait une fabrique de taille pour l’Union Soviétique ; la Roumanie, même Socialiste, n’était qu’un petit pays en comparaison; on ne pouvait l’arrêter, sinon, les micro organismes, champignons, d’où l’on fabriquait les médicaments mourraient. On n’avait pas prévu d’avoir trop de pénicilline.

Que faire maintenant ?

Il faudrait essayer de vendre le surplus aux pays étrangers : à qui et comment? Comme mon père (travaillant à l’époque à l’Import/Export des Médicaments) suivait ce qui se passait avec cette fabrique de près, il se proposa comme volontaire. Mais pouvait-on lui faire confiance ? On l’envoya d’abord en Yougoslavie, pays frère, et là il réussit à lier amitié avec un directeur de fabrique et à lui vendre de la pénicilline.

Ce n’était pas assez. On produisait toujours trop.

On l’envoya dans d’autres pays, la France, la Hongrie, l’Argentine, l’Égypte, l’Allemagne. Partout, il fit des bonnes affaires, tant pour ceux de là-bas que pour le pays. Coup de chance et flair pour des bonnes relations de mon père, les Allemands étaient prêts, à acheter à la Roumanie la matière première et à l’emballer ensuite sous leurs étiquettes contre d’autres médicaments achetés par eux, même de l’aspirine et de la pénicilline.

Mon père fut fêté et en plus, il put nous apporter des choses de partout. De nouveau, il pouvait m’habiller bien, nous avions notre premier frigidaire, une radio, un beau costume de bains, une paire des chaussures avec talons - et même des disques de rock’n’roll!

Mais en plus, ce que je n'apprendrai que beaucoup plus tard, il a fait des contacts qui nous ont servis des années plus tard pour réussir à nous en sortir d'un pays devenant de plus en plus lourd et tyranique.

Je n'airais pas cru, tout ce que le chemin de pénicilline apporterait dans notre famille…

La contrebande est dans ma tête

9 mai 1953

J’ai hélas trop de défauts dont je dois me débarrasser. Et j’en découvre tout le temps d’autres. Encore heureux que j’en connaisse certains, et même si c’est sans beaucoup de succès, j’essaie de les vaincre, mais le reste... Aujourd’hui, je me suis aperçue que j’ai beaucoup de mauvaises habitudes ressemblant à celles de notre directeur d’école. En les voyant chez un autre, je me rends mieux compte qu’ils sont beaucoup plus graves que je le pensais.

Je m’enflamme souvent pour un rien. Ce matin, j’ai discuté, disputé et en plus, j’ai regardé Tina comme elle me l’a dit “ avec les yeux d’un tueur ”, pourtant c’était elle et le directeur qui avaient raison.

Hélas trop souvent d’abord j’agis, je parle, etc. et seulement après je réfléchis, c’est un horrible défaut. énervée, je parle sans réfléchir, je réponds trop vite : “Non ! Pas vrai ! Je ne le crois pas!” et je heurte. Plus tard, quand je reconnais mes torts, je ne le dis pas aussitôt (et souvent, de toute façon ceci n’aide plus.)

Ce sont d’affreux traits de caractère, notre directeur est tout à fait comme cela. À presque toutes nos “ revendications ” il dit tout de suite “ Non! ”, “ Impossible! ” ou “ Ce n’est pas selon le Parti, de soulever cette question de cette façon!” etc., ensuite, après quelques heures ou jours, il réalise ce que nous lui demandions. Il lui faut le temps de réfléchir : je lui ressemble aussi en cela.

Bien, bonne nuit, mon journal. Je n’arrive pas à bien exprimer mes pensées, les décrire comme je les voudrais... bien parler de tout ceci n’est pas facile.

10 mai

Je suis en train de lire Allemagne le cycle de poèmes de Heine adapté par Faludy. Que c’est beau ! Je suis toute pénétrée d’eux, ils sont magnifiques. Et aussi très intéressants. Je ne sais pas quelle partie est de Heine ou de Faludy, pourtant c’est grand du début à la fin.

À la douane... de Heinrich Heine

Pendant que je me demandais

S’il existe une sortie de la boue allemande,

Des douaniers en uniforme bleu

Retournèrent ma valise
Ils étaient là droits, avec leurs visages froids Pendant que je me demandais
S’il existe une sortie de la boue allemande,
Des douaniers en uniforme bleu
Retournèrent ma valise

Ils étaient là droits, avec leurs visages froids
Au-dessus de mon linge retourné,
Cherchant des bijoux précieux,
Du vin de bourgogne et des livres à saisir,

Chers messieurs qui fouillez ma valise
Croyez-moi, votre travail est peine perdue
La contrebande que vous ne trouvez pas
La contrebande est dans mon cerveau

J'ai des dentelles, plus fines
Et piquantes que la dentelle de Bruges
Quand je vais les coudre sur vos visages
Votre peau va brûler et se détruire

J'ai apporté dans ma tête,
Des milliers de bijoux étincelants
Et leurs feux brilleront
Encore pendant des siècles

Il y a dedans un bâton pour le dos du ministre
Des pétards allumés pour les tristes oreilles
De nouvelles lumières pour les aveugles,
Et des sons déchaînés pour les sourds

Et sans qu'on puisse le voir,
Ils bouillent dans ma tête,
Mes poèmes et le vieil Aristophane
Candide et la nouvelle Héloïse.

Se pressent dans ma tête,
Comme le champagne, et bientôt
Ou plus tard, le bouchon sautera...
Au-dessus de mon linge retourné,

Cherchant des bijoux précieux,
Du vin de bourgogne et des livres à saisir,
Chers messieurs qui fouillez ma valise
Croyez-moi, votre travail est peine perdue

La contrebande que vous ne trouvez pas
La contrebande est dans mon cerveau
J'ai des dentelles, plus fines
Et piquantes que la dentelle de Bruges

Quand je vais les coudre sur vos visages
Votre peau va brûler et se détruire
J'ai apporté dans ma tête,
Des milliers de bijoux étincelants

Et leurs feux brilleront
Encore pendant des siècles
Il y a dedans un bâton pour le dos du ministre
Des pétards allumés pour les tristes oreilles

De nouvelles lumières pour les aveugles,
Et des sons déchaînés pour les sourds
Et sans qu'on puisse le voir,
Ils bouillent dans ma tête,

Mes poèmes et le vieil Aristophane
Candide et la nouvelle Héloïse.
Se pressent dans ma tête, comme le champagne,
et bientôt Ou plus tard, le bouchon sautera...

Quel bonheur pour un écrivain, un poète qu’il puisse dire ainsi : “les livres à confisquer sont dans sa tête!”

Un autre de ses plus beaux poèmes est : “ Rêve, dans un lit mou allemand. ” Et quel rêve ! Comme c’est décrit ! Je suis curieuse de savoir ce que le traducteur a ajouté.

Je vois devant moi clairement le grand salon : d’un côté Christ, Marie et les apôtres débordant d’amour et de patience ; et de l’autre les révolutionnaires, Spartacus, Christ, Voltaire et lui, Heine. Je vois l’apôtre se rapprochant de Heine, tout en jonglant avec ses bombes. Le peuple suit l’apôtre au nom de l’amour. Ensuite l’apôtre en robe pourpre sur son cheval, devenu chef enferme Heine en prison “au nom de l’amour” et le condamne à mourir sur l’échafaud. La dernière image : la place vide après le mitraillage.

Finalement, le peuple a seulement reçu un nouveau tyran.

16 mai

Que je voudrais être un peu plus belle ! Mais il est possible que ce soit surtout la confiance en moi qui me manque. Quelquefois j’en ai trop, puis pas assez.

Aujourd’hui j’ai vu le film Anna Karine. Cernesevski avait raison “le sublime réussit à exprimer plus fortement les émotions humaines ”. Anna a des sentiments plus forts que les autres femmes, sa grandeur consiste en cela. C’était bien joué, parce que j’ai réussi à le ressentir si fortement qu’à la sortie j’étais tout épuisée. Il y a quelques mois j’avais lu ce livre de Tolstoï mais je n’y ai pas beaucoup réfléchi. Quel est son enseignement ?

D’abord, ce n’est pas bon pour une femme de dépendre d’un homme, parce qu’alors elle ne sera pas vraiment heureuse, même s’il l’aime. Donc : indépendance !

Cernasevski dans Que faire disait la même chose, son roman optimiste est hélas un peu trop utopique et me va bien. C’est Paul qui m’a dit la première fois que j’étais naïve et utopiste (et plein d’autres, j’y réfléchirai une autre fois). C’est probablement vrai.

Le 4e Festival International de la Jeunesse Communiste s’approche (1). Je l’attends avec impatience ! Bucarest sera beau, comme il n’a jamais été. La présence des jeunes blancs, jaunes, noirs arrivant de mille endroits, l’embellira davantage par leurs chants, leurs danses.

J’espère qu’on réussira à obtenir des vacances pour cette date et à ne pas avoir d’examens à l’université.

Mon père m’ordonne : “ Dors ! Demain à huit heures tu dois être à l’université, c’est toi qui me l’as dit ! Au lit !” Bonne nuit.


Je ne note pas qu’avant le Festival, pendant des mois nous n’avons rien trouvé dans les magasins.

Trember à la vue d'une main

18 mai 1953

J’ai rencontré le premier garçon à 10 ans. C’était surtout moi qui lui plaisais, mais il me plaisait aussi, et flattait ma confiance. C’était à Obecse. Un dimanche après-midi il est venu me chercher, et nous nous sommes promenés de haut en bas de la longue rue centrale. Une autre fois, il m’a présentée à sa mère et m’a promis de me prêter des livres. Il devait avoir entre 14 et 15 ans, puisqu’il était au lycée en 4e. Je ne me rappelle plus son nom, ni son apparence exactement. Il était mince, bronzé, musclé et avait des yeux intelligents et chauds. La dernière fois, il était entre des gendarmes parce qu’il avait nagé plus loin que la moitié de la Tisza, alors fleuve frontière. Non, nous nous sommes rencontrés encore une fois dans la rue quand je me préparais déjà à repartir pour Budapest.

Le deuxième garçon par qui j’étais attirée était Moise. Pendant trois ans au lycée, j’étais persuadée qu’il était le meilleur, le plus... de toute l’école et je m’arrangeais pour être toujours dans la même classe et au même stage que lui. Pendant un ou deux mois après la fin d’école j’étais folle de lui et Alina. [Lui a dit à un bal. Il m’a invitée à danser et m’a serrée trop près me dégoûtant subitement.] Depuis je suis étonnée : comment ai-je pu être entichée aussi longtemps, si folle de lui ?

Pendant notre dernier stage avant la fin d’école, Fred m’a plu, mais il sortait avec Alma, ainsi ce sentiment n’a duré que fort peu de temps (et les autres aussi c’était seulement de loin, en pensée.) Puis un garçon de 3e année de Droit m’a plu à la piscine, c’est lui qui m’a appris comment bien plonger. Une fois, je crois qu’il aurait voulu même me raccompagner après la piscine, mais Édith se dépêchait et j’avais honte de lui demander d’attendre, je suis partie avec elle. Je l’ai revu de loin à la piscine encore deux fois et c’est tout.

Et maintenant, je suis devenue folle!

Cet envoûtement m’a prise à la gorge d’un coup, en apercevant ses mains, ses doigts fins et minces. Bien sûr, ce n’était pas le plus important mais c’était ce qui a tout déclenché. Pendant deux jours, j’étais toute bouleversée, je me suis un peu tranquillisée quand je l’ai revu. Dieu sait ce que ce sera, ce qui arrivera. De toute façon, rien de sérieux n’en sortira. Je ne sais même pas s’il n’est pas marié. Il peut même avoir des enfants (mais je ne le crois pas). Et sinon, il doit aimer quelqu’un, il est sûrement amoureux. De toute façon on n’aura rien entre nous. Surtout à cause de ma nature.

Malgré tout, je n’ai pas résisté aujourd’hui et je suis allée lui parler. Il est sympa avec moi et il me plaît. Mais je crois que c’est tout. Pourquoi pas, il est intelligent et sait énormément de choses, la chimie et la science l’attirent. Il connaît aussi des langues, le Russe et je crois aussi l’Anglais, peut-être même le Français. Aujourd’hui, il m’a demandé si je savais lire en russe et en anglais. Non. Alors, comment vas-tu lire la littérature chimique étrangère ? Apprends-les ! C’est facile à dire, ai?je le temps ? Jusqu’à maintenant, je n’en avais pas envie, non plus. Je crois que mercredi, il m’interrogera en classe. Il enseigne bien. Il est sévère et en même temps proche des élèves, un bon professeur. (Déjà, le deuxième gros, celui de la piscine était aussi rond)

Aujourd’hui j’ai bien nagé ! 1000 mètres (30 fois 33 m), pendant 200 mètres seulement les pieds et le reste en brasse normale. L’eau était fort bonne ! Mon corps se sent si bien après l’effort. Il ne faut pas que j’oublie demain midi ma première leçon de gym avec l’amie de maman.

Samedi, je vais au travail volontaire. Mercredi et samedi de midi à une heure, j’aide en technologie deux nouvelles élèves, mercredi et vendredi soir natation. En plus, cette semaine je dois finir le fascicule trois de la géométrie descriptive et le thème pour le contrôle de russe. Je voudrais aller voir une pièce demain soir et vendredi un film.

Oh, que je voudrais rencontrer Alina, même si c’était seulement pour quelques minutes ! Pourquoi je l’aime tant ? Je l’aime. Beaucoup plus que Vera à qui je n’écris même plus. Je dois aussi répondre aux lettres de Marthe, elle a de la chance d’avoir trouvé un bon ami. Quand en aurai-je, moi aussi ? Bien sûr, elle a une meilleure nature que moi. C’est intéressant comme j’apprécie chez les autres les traits qui me manquent mais que je voudrais avoir. Nora a des idées intelligentes, mais elles ne marcheront pas pour moi, seulement pour une fille rusée. Édith est aussi coquette (à propos, elle a bien réussi ses examens). Je suis en retard avec la physique et le marxisme. Oh, que ce serait bien d’avoir trois semaines libres pendant le festival de la jeunesse !

Parmi les garçons qui ont commencé à me courtiser jusqu’ici pas un seul ne m’a vraiment plu. On ne peut pas me prendre trop rapidement. Seulement insensiblement, sans que je me rende compte. D’abord ainsi, et puis un peu plus... Et je préférais encore ceux qui n’ont même pas fait attention à moi.

Ce serait mon sort ? Non !!! Il faudrait seulement attendre un peu encore. Mais je suis impatiente. Je désire un bras fort et, peut-être même, un baiser. Je n’ai reçu qu’un seul baiser qui m’a laissé un très mauvais souvenir. (Tu te souviens Julie ? Tu avais 9 ans, un garçon inconnu t’a embrassée dans la rue, puis il s’est enfui...) Il y a tellement d’années et depuis… rien. Pourtant j’ai déjà presque 19 ans.

Bonne nuit mon journal, onze heures viennent de sonner, je dois dormir.

23 mai 1953

Je me suis désenchantée, finalement assez vite. C’est mieux ainsi. Il est égoïste et il n’aurait pas mérité que je perde du temps avec lui, même dans mes fantasmes. Ce n’était même pas la peine d’écrire à son sujet.

Aujourd’hui je suis allée avec maman au parc Staline, nous nous sommes promenées une heure en canot. Que le lac est beau et ses environs aussi, avec ses saules tombant jusqu’à l’eau, le vent faisant chuchoter les arbres, le bruit des vagues cognant sur les rives. Il faisait ni trop chaud, ni trop froid, à Bucarest, il n’y a qu’environ trente jours aussi beaux dans l’année. Mais déjà ils valent la peine de venir ! Les roses ont commencé à fleurir, elles embaument l’air. J’ai eu tant de plaisir avec cette promenade !

Comme il pourrait être bon de se promener dans un endroit pareil avec son amoureux, pensais-je et je l’ai même dit à maman.

“ Tu es heureuse, tout cela est encore devant toi ! ” m’a-t-elle répondu.

J’ai lu un livre intéressant, Ivan Ivanovici de Antonina Copteava. Combien elle a raison ! Si je me marie, je voudrais que chaque soir nous racontions l’un à l’autre ce qui s’est passé dans la journée pour chacun de nous, si déjà nous n’avions pas la chance de travailler ensemble. Quelle sorte d’amour : le matin les deux partent, le soir ils reviennent, dorment ensemble, échangent un ou deux mots et c’est tout. Quelqu’un a écrit que le grand amour consiste à aimer, à se soucier de l’autre. Cela devra être ainsi !

Dans la vie, c’est souvent comme dans ce livre, à la fin deux deviennent heureux et les trois autres non, souvent les gens s’aiment en chaîne, moi lui, lui une autre, celle-ci un troisième, etc.

29 mai, 53

J’ai honte de ne pas avoir écrit depuis si longtemps. Chaque soir, avant mon bain je décide que ce soir, j’écrirai. Je me suis habituée à laver mes dents deux fois par jour, mettre de la crème sur ma peau chaque soir, mais je dois m’occuper davantage de mes cheveux. Je n’ai pas écrit, non parce que je n’aurais pas eu de sujet, j’en ai énormément, mais je suis fatiguée ou j’oublie. Oh, je me rends compte que j’ai fait comme si j’écrivais une lettre et je n’avais rien à dire et alors, les trois quarts de mon texte consistent à demander pardon de n’avoir pas écrit depuis si longtemps. Assez !

Cette semaine, ma vie a été mouvementée, elle était très pleine, sans une seule après-midi libre.
Lundi matin école, après-midi dentiste puis étude de la chimie physique. Mardi école, Alina aurait dû venir mais elle n’a pas pu, Tina est passée et nous nous sommes préparées pour la thèse de chimie physique du lendemain. Mercredi école, après-midi de 6 à 8 natation, et le soir de 9 à 10 Math à l’université. Jeudi école, puis travaux de laboratoire de chimie physique à l’école de l’Antibiotique. L’expérimentation a bien réussi mais le directeur n’a pas de tact et m’a mise dans une position fort inconfortable, disant devant moi à l’enseignant (oui, le même) que je suis une des meilleures élèves de l’école.

Vendredi, c’est maintenant, après l’école on a eu une réunion (chapitre trop douloureux) puis de 3 à 4 natation, ensuite de 4 à 8 laboratoire de chimie organique à l’université. Il aurait fallu aller ensuite au séminaire de math, mais je n’y suis pas allée parce que notre enseignant est malade et je ne supporte pas son remplaçant, je préfère écrire.

Demain, après l’école, je vais me faire couper les cheveux, puis j’irai au travail volontaire et à 8 heures de soir, si je ne suis pas trop fatiguée, je vais assister à la compétition de natation. Ce dimanche on doit aller à l’université seulement à dix. J’aurais voulu acheter des billets de théâtre pour l’après-midi, je n’en ai pas trouvé.

C’est ainsi que s’est passée en gros la dernière semaine. Entre-temps, j’ai fini le 1er thème russe pour le contrôle et je me suis arrangée pour recevoir le 2e lundi.

Malgré tout, ce n’était pas une semaine agréable. Elle était pleine mais pas agréable. Pas mauvaise non plus.

Il y a trois semaines, j’ai eu sept très bons jours. Alors, je ne les ai pas passés non plus avec rien, mais j’avais eu le temps d’étudier davantage, j’avais nagé et je suis allée au cinéma et je ne sentais pas le poids : “ aujourd’hui je dois faire ceci ou cela ”, je faisais ce que je voulais. Mais j’avais l’envie et l’énergie d’étudier beaucoup et la Géométrie Descriptive me paraissait intéressante.

J’ai l’intention de terminer d’ici à mardi les deux leçons de russe, mercredi je les recopie et puis jusqu’à la fin de la semaine je finirai la moitié de mon deuxième devoir de Chimie. (On nous les envoie l’un après l’autre de l’Université par Correspondance.) L’autre partie sera faite par Tina puis nous échangeons. Que puis-je faire, j’ai si peu de temps. Bien sûr, je le corrigerai, agrandirai ou changerai mais ceci me prendra moins de temps.

Demain, on va nous donner probablement une thèse surprise de Marxisme. Je vais me préparer le matin de 6 à 7 1/2, c’est à ce moment que ma tête retient le mieux.

Mais maintenant je vais essayer de dormir, j’ai besoin de huit heures de sommeil. Ce serait bien de m’habituer à ne dormir que 6 à 7 heures, mais alors je suis ensommeillée toute la journée et en plus, abattue. Bonne nuit, mon cher journal.

Le monde n'est pas ce qu'il devrait être

11 juin 1953

Je sors du film “Printemps à Moscou”, il m’a donné pas mal à penser. C’est difficile dans la vie de trouver son compagnon. Quand j’aimerai un garçon, sera-t-il tout à fait comme il faut pour moi ? Sûrement pas. Et si j’ai énormément de chance, même alors, ce sera seulement dans les choses les plus importantes qu’il sera comme il me faudra. (Maman vient pour me dire de faire les lits. Mes pensées vont se perdre ! Bon, j’y vais. Fini.)

Une femme, une fille, doit être belle, s’habiller agréablement. Il faudra faire plus de gym, de sport, m’occuper davantage de mon apparence, mes cheveux. Les gens aiment en général celle qui est énergique, obstinée, effrontée, pleine de vie, explosant. Je suis trop tranquille, trop sérieuse.

Ce film m’a montré que si tu aimes quelqu’un, tu ne le lui dis pas pendant longtemps, même s’il t’aime lui aussi : laisse-le se torturer un peu, vous serez plus heureux ensemble ensuite. Il faudra faire ainsi. Quand ? Et puis, même si quelqu’un ne te plaît pas mais avoue t’aimer, laisse-le parler, de loin. Ceci, je ne le faisais pas.

Je dois être moi aussi plus gentille avec les garçons. Je dois l’apprendre absolument. J’ai déjà commencé à le réaliser un peu, même si c’est lentement et difficilement. Je dois aussi aider plus à la maison, me soigner mieux, etc. Avec le temps on peut réaliser beaucoup de choses importantes. Je dois m’habituer à dire quelques mots gentils, montrant que je m’intéresse à l’autre, ceci ne coûte pas beaucoup. Pas facile, pour moi. Pourtant, il le faut !

C’est intéressant, souvent il nous manque quelque chose, au moins à moi, jusqu’à ce que nous l’ayons obtenu, ensuite même cela nous dérange. Par exemple, combien j’ai désiré avoir des amies à Bucarest. J’en ai, et si je le voulais, je pourrais en avoir davantage. Et voilà, elles me “ pèsent ” souvent. Je sens que c’est mieux d’être seule, non, pas tout à fait seul, mais avec un livre.

C’est quand même merveilleux d’avoir des amies. Et plutôt trop que pas du tout. Je ne les estime pas assez. Je n’ai pas assez de tact. Chacune d’elles est spéciale, j’oublie trop vite et je les contrarie. Toutes ne me le disent pas aussitôt, comme Alina, quand je les ai heurtées. Pour la plupart, il faut se rapprocher avec plus de tact de Vera ou Tina. Mais cette dernière, est-ce une amie ?

Je voudrais tellement pouvoir participer au Festival International de la Jeunesse !

Je crains que je n’en aie ni l’occasion, ni le temps. Alina a été nommé déléguée, l’a-t-elle mérité? En plus, elle va entrer au le parti communiste ! Elle ! Alina est débrouillarde, habile.

Si on me laissait entrer au Parti, l’accepterais-je ? Je suis assez mûre. Non, ce n’est pas sûr. Mais Vera et Alina disent qu’il sera bien d’en avoir beaucoup comme moi. Parce que les autres, trop hélas, non seulement ne correspondent pas à l’idéal communiste, mais ne sont même pas communistes en leur âme, leur cœur. Hélas, il y en a beaucoup qui affirment une chose tout en faisant une autre.

Le monde n’est pas comme il devait être, le sera-t-il jamais ?

Il est possible que dans le communisme tous vivent bien, on aura alors sûrement assez à manger et de meilleurs vêtements, un meilleur logement. Mais le faire - semblant, les mensonges, les intrigues, la mauvaise volonté, le carriérisme, vont-ils disparaître ?

Si quelqu’un est critiqué par un personnage haut placé, jusqu’à quand la plupart de ceux qui l’entourent vont-ils le blâmer, le réprimander eux aussi ? Jusqu’à quand durera la servilité, l’amour de l’argent, la corruption ? Du sang des roumains, va-t-il sortir l’habitude de demander du bakchich et d’être rusés ? Du sang des hongrois, va-t-il sortir l’égoïsme et le chauvinisme ? Aurons-nous jamais un monde comme se l’imagine une idéaliste ?

Je sais, je suis un peu trop utopiste, beaucoup me disent que je n’ai pas les pieds sur terre, mais je crois encore, envers et contre tout. Mais ce film soviétique Le printemps à Moscou m’a fort perturbée. De tels problèmes existent là-bas aussi ? Pas seulement chez nous ?

C’est vrai, les hommes ne sont que des hommes partout, même si un peu meilleurs d’une certaine façon (je l’espère encore). Si j’imagine qu’un homme honnête, (comme le père de l’héroïne du film) peut être accusé, interné presque toute sa vie à cause des médisants (et de ses idéaux), qu’il peut être tellement malheureux, et que d’un autre côté les êtres rusés, méchants, menteurs vivant en faisant du mal aux autres et en profitant, peuvent avoir la chance et ne pas être démasqués, alors...

Mais je ne le crois pas ! Je crois que le bon vaincra et le mauvais sera vaincu. Je crois que la fin sera bonne à chaque fois. J’ai l’âme d’un enfant. Qu’y faire ? Je suis ainsi.
Ajouté après la révolution hongroise en marge du texte :
Je ne crois plus, hélas que tout finit bien, que les bons gagnent toujours.

Un ami, des garçons me manquent, peut-être aussi quelqu’un qui me fera la cour. Mais quand j’en aurai un, réussirai-je à l’apprécier assez ?

Pourquoi voudrais-je voir tout en rose ? Pourquoi ne suis-je pas plus pessimiste ? plus réaliste par exemple comme Alina ? Je crois que j’aurai encore beaucoup de problèmes à cause de cela et je serai souvent malheureuse en ce monde.

Trouverai-je quelqu’un de calme comme moi, au moins à moitié aussi idéaliste, quelqu’un qui me comprenne, qui m’aime, que je comprenne ?

Que sera, sera ” comme dit la rengaine en italienne.

Je n’ai pas encore de but précis, je ne sais pas que devenir et comment. Pourtant, c’est le moment. J’ai dix-huit ans ! Je ne peux plus laisser la vie me mener au fil de l’eau, suivre le courant.

J’irai sûrement à Iasi, je le dois à Staline, je lui ai promis. Mais la chimie est-elle vraiment ma voie ? Je préfère la philosophie et la littérature. Marx a raison : en tout, en tous, une lutte des contraires a lieu. J’ai beaucoup de ‘moi’, de facettes différentes qui luttent en moi. L’un d’eux vaincra, à un moment donné, mais est-ce celui qui le devrait ?

La vie est beaucoup plus compliquée que je ne le croyais, comme beaucoup le voient. L’homme a un cerveau pour réfléchir et devrait l’utiliser, mais il ne se fatigue pas trop. Le plus souvent il avale ce que les autres lui donnent tout mâché. Je réfléchis, mais pas assez.

Je me suis découvert un bon aspect : je réussis à retirer l’essentiel de ce que je vois, de ce que je lis, sens, et je sais le ressortir, le résumer, l’expliquer ensuite. C’est déjà quelque chose. Mais je devrais avoir davantage de confiance en moi, alors d’autres m’estimeront mieux aussi. Au moins, me remarqueront. J’ai assez réfléchi. Oh, que je suis troublée...

Je finis, mon père est rentré et bientôt il entrera dans ma chambre. Qu’il ne voie pas ce que j’écris. Au revoir.

28 juin 1953

J’aurais voulu écrire sur les événements passés en Allemagne, puis ceux de Hongrie et du fait qu’on appelle Beria dorénavant “l’Instrument des Impérialistes”.

Nous savons si peu ce qui arrive dans le monde et dans le cercle des dirigeants. Nous croyions aveuglement en Staline, on savait qu’il dirigeait avec une main ferme, mais maintenant, d’une certaine façon tout a commencé à s’ébranler.Ana Pauker aussi, une fois, ils l’élèvent jusqu’au ciel, tu commences à l’aimer, puis un autre jour ils disent qu’elle est une mauvaise, une rien du tout. Si tu aimes et estimes vraiment quelqu’un, ce n’est pas possible que d’un jour à l’autre tu le haïsses ou que tu t’en désintéresses. Ne peut le faire que celui qui est tout à fait superficiel ou faux.La route vers le socialisme, le communisme, est pleine d’embûches.

Mon père a raison.

Mais le but, on l’atteindra. La route est remplie aussi de méfaits. Les gens sont pleins de défauts. Tous. Même ceux qui nous conduisent. Et de là, énormément de mal et de tristesse sort. Il y a deux ou trois ans, je comptais encore arriver à vivre dans le communisme jusqu’à ma vieillesse (à chacun selon ses besoins). Maintenant, je ne suis même plus sûre d’arriver au socialisme (à chacun selon son travail). Le chemin n’est plus solide devant moi. Ils trouvent une fois ça bien, l’autre fois le disent mauvais, plus tard encore ils changent : il n’y a personne pour nous expliquer ce qui se passe et pourquoi. Et si une guerre arrivait, nous retournerions de nouveau des années en arrière, ils détruiront encore une fois la culture, et aussi la vie d’énormément de gens… au moins de ceux qui resteront encore en vie.

Je voulais écrire sur la guerre et la paix, mais aussi sur notre Faculté. Hélas, ils ont mis nos examens juste entre le 1 et 10 août et puis du 1 au 20 septembre, je ne pourrai assister que fort peu au Festival International. Réussirai-je au moins à passer mes examens ? C’est mon désir primordial, maintenant.J’aurais voulu écrire sur ce mois creux et horrible de juin ; raconter que je ne suis toujours pas assez aimable et je n’ai pas réussi à trouver une société qui m’aille, ni au cours, ni ailleurs.Le plus important est l’événement personnel : je viens d’avoir 19 ans !

C’est affreux comme les années passent et ne reviennent pas. Mes 18 ans se sont envolés, trop rapidement et, ce qui est pire, presque sans laisser de traces. À 18 ans, j’avais reçu mon diplôme de technicienne. Mais maintenant ?

Je ne pourrais pas dire que je n’ai rien appris pourtant ! Je suis entrée dans l’école de la vie. Même si c’est seulement sur un demi-pied. Je crains qu’encore une année passe sans rien de spécial (je voudrais trouver mon partenaire ou, au moins, un ami) et j’aurai 20 et ensuite 21 ans et je partirai à Iasi. J’espère y être utile et alors, à 21 ans, je pourrai dire que j’ai réalisé quelque chose dans cette vie, que je n’ai pas vécu pour rien. Mais « l’homme planifie, le sort décide » comme dit souvent mon père. Surtout quand on n’est pas assez déterminé (papa l’est et il lutte pour ce qu’il veut). Combien de rêves ai-je faits avant d’avoir terminé le lycée, mais je n’ai pas imaginé ce qui arrivera.

Pendant cette dernière année, je me suis rendu compte de choses importantes et de quelques règles qu’il faudra mettre en application dans la vie et sur le lieu de travail. Je n’ai fait que le premier pas : je les ai observées.Pour mon anniversaire maman m’a offert un joli journal et un crayon avec une mine remplaçable avec lequel je suis en train d’écrire. Je dois me mettre à étudier, je voudrais aussi ranger mes livres et cahiers d’études. Au revoir donc, mon cher journal !

13 juillet 1953 (19 ans)
J’avais tellement à dire, mais Vera habitait chez nous et je n’arrive pas à écrire en sa présence, j’étais aussi paresseuse. Voilà les choses les plus importantes qui se sont passées depuis, dont je me souviens. Le soir du 11 juin, après avoir discuté avec mon père, il s’est avéré que j’ai appris en vain le “matérialisme dialectique”, je n’arrive pas à le mettre en pratique.

Papa m’a dit que si le monde communiste arrive - comme je le prétends – « quand tous auront assez à manger, pourront se vêtir, etc. », alors on aura beaucoup moins de menteurs, de profiteurs, parce que les gens n’auront plus de ‘base matérielle’ pour le faire. J’aurais aussi voulu écrire au sujet de la mère d’Édith. Pour le moment seulement ceci : quand se terminera l’inhumanité des gens ? Dans la vie beaucoup de destins, de vies, sont trop mélangés avec le mal, ce dernier arrive trop souvent !


Julie n’a pas pu décrire son épouvante et ne l’a pas osé, non plus. Après son séjour dans les caves de la police politique, on a ramené la mère d’Édith à la maison de son ex-mari sur une civière. Son amie Édith a appelé Julie à l’aide, elle n’arrivait pas à en croire ses yeux. Cette grande dame élégante d’autrefois était devenue un cadavre à peine vivant, toute blanche et maigre, sans dents, des yeux effrayés, fous. Jamais, elle n’a guéri. Cette femme, altière, intelligente, belle ! Qu’a-t-on fait d’elle en seulement deux mois ?Jacob Sanyi, son deuxième mari, qui avait consacré toute sa vie au communisme et a été ministre adjoint des finances de la Roumanie, était presque le seul qui n’a jamais rien “ avoué ”et bien qu’on n’ait rien trouvé contre lui, il a été condamné à vie. Julie ne savait pas encore qu’il allait faire en fait dix-sept ans dans une cellule isolée ne rencontrant pendant tout ce temps d’autres que ses geôliers. Pendant dix-sept ans, il se demandait sans cesse comment prouver, expliquer qu’il avait été un bon communiste avant, pendant et aussi après la guerre. Le choc le plus grand l’attendait à sa sortie : tout le monde le savait innocent.

Mes plaisirs à 19 ans

24 juillet 53

Demain commence le Congrès International de la Jeunesse. Je voudrais écrire, mais pas maintenant, c’est déjà minuit, entre le 24 et 25 juillet. Bonne nuit mon journal.

22 août

Il est vraiment dommage que je n’écrive pas tous les jours au moins un quart d’heure. Dommage que je n’ai pas écrit pendant le Festival de la Jeunesse. Il sera difficile de me souvenir, pourtant je veux tout décrire de ces jours-là magiques. C’est comme la gymnastique, je devrais en faire 15 minutes chaque jour et je le néglige.

Regretterai-je une fois, qu’à 19 ans je n’ai pas encore été embrassée par un seul garçon ? Que je ne me suis pas assez amusée ?

Alina a reconnu ses torts et... Ensuite Vera était chez moi (envoyée de son école pour un stage dans une usine de fromages de Bucarest) et en sa présence, je ne pouvais pas écrire.

Maintenant, je suis en train de préparer mes examens. C’est une mauvaise raison, je n’apprends que de 4 à 7 heures par jour (trop peu!), je pourrais écrire le reste du temps. Dans ce cahier, je n’écrirai plus que des choses quotidiennes et je le terminerai en même temps que mes examens. J’espère écrire sur la dernière page : “ tous mes examens ont réussi ! ”

Ce Festival de Jeunesse, mènera-t-il à quelque chose de bon ? Je l’espère. Je devrais me mettre à étudier mais j’ai faim. En réalité, ceci n’est qu’un prétexte. Je ne sais pas comment étudier “l’analyse ” mais je m’y mets. Au revoir.

25 septembre

Je ne peux me louer (que tous les examens de Faculté pour l’année soient passés) parce que le Prof de Russe ne m’a pas laissée passer. Mais les autres examens ont mieux réussi que je ne le pensais. En Physique et en Marxisme j’ai eu 20/20, en Chimie aussi,, ou au moins, 18/20. J’espère que j’ai passé la Descriptive (sûrement) et j’ai encore devant moi les Math.

J’ai fait la connaissance d’un garçon qui me plaisait (autant qu’on puisse en juger en quelques heures) et bien sûr, ce n’était pas réciproque. Mais on ne peut pas me connaître si rapidement, surtout si je me tais, comme je l’ai fait cette fois ci. 8 octobreLes maths ont été un succès (20/20) mérité. Je l’ai vraiment mérité : j’avais fait des exercices toute l’année et avant l’examen, j’ai étudié 14 heures par jour.

30 octobre 1953

Aujourd’hui, je me suis convaincue que je suis superficielle. Je pense trop peu, c’est mauvais. Je lis beaucoup mais pas avec assez d’attention. Je ne pense pas profondément à ce que voulait dire l’écrivain, seulement à ce qui se passe et aux conclusions qui sautent aux yeux. Erik avait raison en tout ce qu’il m’a dit, mais surtout, ce qu’il n’a pas dit : je suis superficielle. Nous discutions du livre “ La septième croix ” d’Ana Seghers. Pour le moment, je ne sais que faire.

Je devrais reprendre les livres que j’ai lus et les lire comme il faut. Je pourrais ouvrir un cahier et y mettre ce que j’en pense. Même les récits de Hamlet ou Othello en soi sont assez simplistes. Il y eut un temps où je me demandais pourquoi ces pièces sont aussi renommées et célèbres. Jamais je n’ai eu la patience de les lire lentement, mot à mot, en réfléchissant en profondeur sur ces pièces de Shakespeare, je les parcourais rapidement, en un ou deux jours seulement.

10 novembre, 53

L’ART ! Je crois que c’est seulement maintenant que je me suis aperçue de ce que c’est en réalité. Je sens que dorénavant j’arrive à ressentir vraiment un poème de Heine, un roman de Seghers, une mélodie de Rimski Korsakov. J’ai découvert la musique ! D’un coup j’en suis assoiffée, affamée. Pourquoi ? Je crois que je suis devenue mûre pour cela. Je le dois aussi à Erik et peut être même à Steinberg ? Non, pas possible. Et puis à ma chambre renouvelée qui dorénavant a aussi une radio avec un tourne-disque et puis qui sait encore pourquoi. Mais tout me touche profondément, me bouleverse. Une sonate de Beethoven ou une valse de Strauss. Il est aussi possible que ce soit seulement l’influence du livre “ La septième croix ” ?

Je commence à comprendre que je n’ai pas le droit d’écrire. Au moins, pas avant mes 50 ans.

20 décembre 1953 (Est-ce pas le début de mon 5e cahier en fait? je dois vérifier!)

Depuis quelques mois j'ai commencé à mûrir. J’étais plutôt renfermée, je commence à m’ouvrir. On me dit que jusqu’ici je n’étais pas vraiment “grande fille” : je suis en train de le devenir.

Je ne suis plongée dans la vie réelle que depuis quelques mois. Jusqu’ici c’est surtout la lecture et l’école qui m’intéressaient. Dans ce nouveau, joli cahier j'essaierai de décrire mes joies et mes divers plaisirs, pour me les rappeler plus tard.

Mes plaisirs ?

J'ai déjà eu du plaisir à lire 'Bibi' de Karine Michaëlis, les poèmes de Petöfi, les préfaces amusantes de Kästner, les contes de Lamb sur les pièces de Shakespeare, et aussi en voyant des opérettes, surtout l'opérette hongroise “Jànos Vitéz”. Mais je me rends compte que ce n'était pas une joie profonde, seulement superficielle. Est-ce vrai ?

J’aime beaucoup les ballets, jusqu’ici c'est Coppélia que je préfère. Je vais souvent au théâtre et ne rate aucun film. Je suis déjà allée à l'opéra (juste sept fois) pourtant c’est seulement la "Dame de Pique" qui m’a plu du début jusqu’à la fin. Cette saison, je n’y ai été qu’une seule fois, car c’est très difficile de se procurer des billets, mais j’ai déjà entendu deux fois à la radio la Traviata et ça m’a beaucoup plu.

Je commence à m'intéresser à la musique classique. Je ne me suis pas encore aventurée très loin dans ce domaine, je ne suis arrivée que dans son antichambre. Je la connais mieux en théorie que pour l'avoir entendue : j'ai plus lu sur Beethoven qu’écouté, et plus écouté qu'apprécié. Mais je sens que je suis sur la bonne voie. Je suis en train de découvrir un nouveau monde. J’ai commencé à aller aux soirées musicales de l’Université et j’irai écouter un concert à l’Athénium, si possible chaque semaine. J'aime les concerts, mais je ne les ai écoutés qu’à la radio. Je n’aime pas encore tout, mais le Concerto pour Flûte en Ré Majeur de Mozart et surtout la 5e symphonie de Beethoven m’ont beaucoup plu. J'ai une bonne faculté d’imagination, mais si avant d'entendre Shéhérazade j'avais pu lire les récits des Milles et Une Nuits, peut-être l'aurais-je mieux compris.

Je me sens encore plus éloignée de la peinture et de la sculpture, mais il y a un temps pour tout. C'est dans la littérature, que je me sens le mieux : je réussis à avoir le même plaisir avec un bon roman, une pièce de théâtre ou un poème.Il est possible que mes goûts et jugements ne soient pas bons, car par exemple je n'aime pas Balzac (Marthe l’adore) ; par contre, je connais déjà presque par cœur les romans humoristiques sur les légionnaires de l'écrivain hongrois Howard. Je pense qu’on ne doit pas, qu'on n'a pas le droit d’accepter l'opinion des autres (même s’ils sont plus nombreux, plus intelligents et plus cultivés que nous). Je n’admets leur opinion que si elle coïncide avec la mienne. Donc je ne vais jamais considérer la musique de Beethoven comme “grandiose” tant qu'elle ne me plaît pas vraiment beaucoup à moi.

Je sais que mon point de vue peut être influencé par mille choses autour de moi. Je sais que je suis subjective. Mon âge, ma jeunesse y contribuent aussi. Ce qui me paraissait ennuyeux il y a quelques années me ravit aujourd'hui, ce qui me plaisait fantastiquement, par exemple les romans de Polevoï, m'ennuie aujourd’hui. Ceci m'arrivera sans doute encore. J'ai décrit mes plaisirs culturels aussi pour voir ce qui en restera, ce sera intéressant, pour moi et peut être pour d’autres de suivre mon évolution (j'espère qu'on le pourra).