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28 juin 1953

J’aurais voulu écrire sur les événements passés en Allemagne, puis ceux de Hongrie et du fait qu’on appelle Beria dorénavant “l’Instrument des Impérialistes”.

Nous savons si peu ce qui arrive dans le monde et dans le cercle des dirigeants. Nous croyions aveuglement en Staline, on savait qu’il dirigeait avec une main ferme, mais maintenant, d’une certaine façon tout a commencé à s’ébranler.Ana Pauker aussi, une fois, ils l’élèvent jusqu’au ciel, tu commences à l’aimer, puis un autre jour ils disent qu’elle est une mauvaise, une rien du tout. Si tu aimes et estimes vraiment quelqu’un, ce n’est pas possible que d’un jour à l’autre tu le haïsses ou que tu t’en désintéresses. Ne peut le faire que celui qui est tout à fait superficiel ou faux.La route vers le socialisme, le communisme, est pleine d’embûches.

Mon père a raison.

Mais le but, on l’atteindra. La route est remplie aussi de méfaits. Les gens sont pleins de défauts. Tous. Même ceux qui nous conduisent. Et de là, énormément de mal et de tristesse sort. Il y a deux ou trois ans, je comptais encore arriver à vivre dans le communisme jusqu’à ma vieillesse (à chacun selon ses besoins). Maintenant, je ne suis même plus sûre d’arriver au socialisme (à chacun selon son travail). Le chemin n’est plus solide devant moi. Ils trouvent une fois ça bien, l’autre fois le disent mauvais, plus tard encore ils changent : il n’y a personne pour nous expliquer ce qui se passe et pourquoi. Et si une guerre arrivait, nous retournerions de nouveau des années en arrière, ils détruiront encore une fois la culture, et aussi la vie d’énormément de gens… au moins de ceux qui resteront encore en vie.

Je voulais écrire sur la guerre et la paix, mais aussi sur notre Faculté. Hélas, ils ont mis nos examens juste entre le 1 et 10 août et puis du 1 au 20 septembre, je ne pourrai assister que fort peu au Festival International. Réussirai-je au moins à passer mes examens ? C’est mon désir primordial, maintenant.J’aurais voulu écrire sur ce mois creux et horrible de juin ; raconter que je ne suis toujours pas assez aimable et je n’ai pas réussi à trouver une société qui m’aille, ni au cours, ni ailleurs.Le plus important est l’événement personnel : je viens d’avoir 19 ans !

C’est affreux comme les années passent et ne reviennent pas. Mes 18 ans se sont envolés, trop rapidement et, ce qui est pire, presque sans laisser de traces. À 18 ans, j’avais reçu mon diplôme de technicienne. Mais maintenant ?

Je ne pourrais pas dire que je n’ai rien appris pourtant ! Je suis entrée dans l’école de la vie. Même si c’est seulement sur un demi-pied. Je crains qu’encore une année passe sans rien de spécial (je voudrais trouver mon partenaire ou, au moins, un ami) et j’aurai 20 et ensuite 21 ans et je partirai à Iasi. J’espère y être utile et alors, à 21 ans, je pourrai dire que j’ai réalisé quelque chose dans cette vie, que je n’ai pas vécu pour rien. Mais « l’homme planifie, le sort décide » comme dit souvent mon père. Surtout quand on n’est pas assez déterminé (papa l’est et il lutte pour ce qu’il veut). Combien de rêves ai-je faits avant d’avoir terminé le lycée, mais je n’ai pas imaginé ce qui arrivera.

Pendant cette dernière année, je me suis rendu compte de choses importantes et de quelques règles qu’il faudra mettre en application dans la vie et sur le lieu de travail. Je n’ai fait que le premier pas : je les ai observées.Pour mon anniversaire maman m’a offert un joli journal et un crayon avec une mine remplaçable avec lequel je suis en train d’écrire. Je dois me mettre à étudier, je voudrais aussi ranger mes livres et cahiers d’études. Au revoir donc, mon cher journal !

13 juillet 1953 (19 ans)
J’avais tellement à dire, mais Vera habitait chez nous et je n’arrive pas à écrire en sa présence, j’étais aussi paresseuse. Voilà les choses les plus importantes qui se sont passées depuis, dont je me souviens. Le soir du 11 juin, après avoir discuté avec mon père, il s’est avéré que j’ai appris en vain le “matérialisme dialectique”, je n’arrive pas à le mettre en pratique.

Papa m’a dit que si le monde communiste arrive - comme je le prétends – « quand tous auront assez à manger, pourront se vêtir, etc. », alors on aura beaucoup moins de menteurs, de profiteurs, parce que les gens n’auront plus de ‘base matérielle’ pour le faire. J’aurais aussi voulu écrire au sujet de la mère d’Édith. Pour le moment seulement ceci : quand se terminera l’inhumanité des gens ? Dans la vie beaucoup de destins, de vies, sont trop mélangés avec le mal, ce dernier arrive trop souvent !


Julie n’a pas pu décrire son épouvante et ne l’a pas osé, non plus. Après son séjour dans les caves de la police politique, on a ramené la mère d’Édith à la maison de son ex-mari sur une civière. Son amie Édith a appelé Julie à l’aide, elle n’arrivait pas à en croire ses yeux. Cette grande dame élégante d’autrefois était devenue un cadavre à peine vivant, toute blanche et maigre, sans dents, des yeux effrayés, fous. Jamais, elle n’a guéri. Cette femme, altière, intelligente, belle ! Qu’a-t-on fait d’elle en seulement deux mois ?Jacob Sanyi, son deuxième mari, qui avait consacré toute sa vie au communisme et a été ministre adjoint des finances de la Roumanie, était presque le seul qui n’a jamais rien “ avoué ”et bien qu’on n’ait rien trouvé contre lui, il a été condamné à vie. Julie ne savait pas encore qu’il allait faire en fait dix-sept ans dans une cellule isolée ne rencontrant pendant tout ce temps d’autres que ses geôliers. Pendant dix-sept ans, il se demandait sans cesse comment prouver, expliquer qu’il avait été un bon communiste avant, pendant et aussi après la guerre. Le choc le plus grand l’attendait à sa sortie : tout le monde le savait innocent.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

les horreurs, il y en a toujorus aujourd'hui ... et toujours les mêmes ...que l'on découvre avec ...surprises à chaque fois ....
Souvent "tout" le monde sait ... mais laisse faire ....


Aller, je me sauve ! Mais je reviendrais vite lire la suite ...
C'est vraiment interessant, mais en mêm etemps, c'est aussi ta vie,e t c'est plus proche, du coup.
Pas facile de l'expliquer ;-)

Bonne nuit !
sophos