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Un cahier d'écolier

J'ai tellement caché ce journal, dans lequel j'écrivais des "choses interdites" que très longtemps, des années, je ne l'ai plus retrouvé, le croyant déjà perdu. Puis un jour, le voilà, près d'un ancien livre. Aussitôt, je m'y suis mise à le traduire et j'ai retrouvé avec joie cette jeune fille de dix-neuf ans.

Quatrième journal


Juli20ProfilEn plus, mon désir secret est toujours de devenir un écrivain, et je n’écris pas toujours. Je n’arrive pas à écrire, parce qu’il y a énormément d’attentes pour une pièce de théâtre ou un récit, on demande beaucoup pour qu’ils soient publiés et ils ont raison : le livre sert à éduquer et n’a pas le droit de mal orienter. Écrire pour moi-même peut être considéré aussi comme exercice d’écriture future. Réfléchir est facile, cela vole et l’on ne doit pas se demander si c’est bien exprimé, ou si l’orthographe ou la grammaire sont bonnes. Surtout, mes pensées ne sont pas interrompues quand ma main commence à me faire mal de fatigue ou que je n’arrive pas à écrire assez rapidement. Si je savais taper à la machine à écrire, je pourrais aller plus rapidement. Mais les pensées s’envolent avec grande vitesse. Quand on écrit, on arrive trop vite à la fin de ses réflexions parce qu’il faut aussi dépenser de l’énergie sur l’écriture.

Dire, raconter, conter à quelqu’un, d’après moi, c’est entre les deux. D’abord, c’est mieux que penser, parce que cela prend des formes plus figées et comme l’autre est là, il écoute s’il veut, n’écoute pas sinon, il faut que ce qu’on dit, soit plus intéressant. Mais avec la difficulté de l’exprimer, de le prononcer d’une certaine façon, de l’accentuer et aussi de rendre sa fluidité. Si j’ai quelqu’un d’assez patient, faisant attention à ce que je dis et qui ne m’interrompt pas tout le temps (parce que je raconte lentement), alors je sais assez bien raconter. Mais le fait qu’à l’école et avec la plupart de mes amies je parle roumain, ralentit mes paroles en hongrois. Je m’exprimais plus facilement et mieux, j’écrivais plus correctement en hongrois jusqu’à ce que j’aie quitté Cluj, il y a quatre ans. Et si j’allais à Iasi, vraiment je ne sais pas ce qui arriverait (là-bas, on ne parle que roumain).

Quand on écrit pour soi-même, on a une liberté complète. Au moins, celle qu’on se donne à soi : par exemple je voudrais bien laisser tomber quelques mots ici ou là pour aller plus vite mais je m’efforce, autant que possible, d’écrire correctement.

Je dois me décider à écrire régulièrement, chaque jour. J’ai tant à dire ! Même si j’écrivais un jour par mois pendant des heures et des heures, cela ne suffirait pas.

En revenant à la maison, je réfléchissais à ce que j’écrirais dans ce journal, comment commencer, mais en pensée c’était plus beau. Je décide d’écrire dorénavant tous les jours, même si ce n’est que trois lignes. Un cahier est bon marché, quand celui-ci sera rempli, j’en achèterai un autre avec 0,86 lei.

Je n’ai pas peur que quelqu’un le lise. D’abord, personne ne se rendra compte que ceci n’est pas un cahier d’études comme les autres, puis même si on le lit, eh bien : on verra comment je suis - ou si cela n’est pas possible, au moins comment j’étais, comment je pensais au moment où j’écrivais ces lignes. De toute façon, après un certain temps (un mois ou des années) je montrerai mon journal à quelqu’un. Je n’arrive jamais m’enfermer longtemps. En conclusion, je ne décrirai pas les événements les plus intimes : ce ne serait pas bien si ce que j’avais écrit tomberait un jour dans les mains d’un malveillant. J’ai plusieurs amies, Alina, Tina et Claire qui ne savent pas le hongrois, à Édith et Vera je ne montrerai que les passages où je ne parle pas d’elles, et puis c’est tout.

Chaque fois ce que j’écris peut avoir deux parties : l’une, ce que je pense en général des événements (je n’ai pas honte d’eux et j’en prends la responsabilité, même si mes opinions changent après un certain temps) et l’autre, décrire ce qui est arrivé ce jour-là et ce que j’en pense. Je crains d’utiliser trop de papier et trop de crayon. Tant pis.

Bien, maintenant je raconterai la journée d’aujourd’hui.

Le fait que depuis un mois je vais à l’école des Antibiotiques, je le sais, et si je le mentionne ici c’est seulement pour quelqu’un qui un jour lira mes journaux, pour qu’il comprenne et puisse le relier avec mon dernier journal.

La dernière fois j’écrivais pendant... [l’agonie] de Staline. Je n’arrive ni à le prononcer, ni à l’écrire, je ne peux pas. Enfin, la dernière fois, j’avais écrit sur lui. Depuis, je ne suis pas arrivée à finir ce journal-là. Un jour, je le terminerai. Peut-être, quand je serai à l’usine ou alors quand j’aurai eu des résultats dans mon travail. Ou seulement quand je deviendrai membre du Parti. Je ne crois pas le devenir, puisque, d’après moi, seulement un vrai communiste peut devenir membre, et chez moi, un communiste, un bolchevique, doit être un être très spécial, ce nom je l’accorde à très très peu.

Peut-être à Csizmadia et même à lui seulement 3/4. Bien sûr, tout cela encore très éloigné pour moi, devenir tel que je conçois que devrait être quelqu’un pour mériter ce nom.

Malheureusement, il y a beaucoup de membres du parti, énormément hélas, par rapport à qui je serais nettement mieux, mais ce n’est pas l’essentiel.

J’essaie de n’utiliser que des mots hongrois, mais cela ne me réussit pas toujours, ces jours-ci je parle de plus en plus roumain. Je trouve avec difficulté le mot approprié, pourtant il en existe toujours, la langue hongroise est très riche. Je devrais l’étudier davantage.

À l’aube, je me suis prélassée sans rien faire jusqu’à six heures. Ensuite, j’ai relu la “ Chimie Physique ” et j’ai résolu cinq problèmes qu’on nous avait donnés. (Écrire en hongrois au sujet de l’école c’est dix fois plus dur.) Au cours sur les produits Antibiotiques, j’étais fort nerveuse et j’ai vexé Tina (je l’ai vite regretté, trop tard ?)

En sortant de Polytechnique, je suis allée retirer mes photos : je ne les aime pas du tout. Le photographe m’a agrandie, embellie, il a caché mes taches de rousseur, gommé certains traits, la photo ne montre pas une certaine gentillesse, grâce, spécificité que j’ai. Et pas du tout l’intérieur. Même le sourire est forcé. C’est normal, quelle idée de mettre juste devant mes yeux, là où je devais regarder pendant qu’on me photographiait, la photo encadrée de noir de Staline. Quand je voyais ça, je n’avais plus aucune envie de rigoler.

Me voilà revenue chez moi et dépensant la mine de mon crayon, il ne me reste qu’un petit bout. J’ai déjà écrit cinq pages. Cela sera assez pour aujourd’hui. Je suis ainsi, quand je m’y mets avec élan, j’écris, j’écris et je ne m’arrête plus : je serais capable maintenant de remplir d’un coup tout ce cahier. J’ai plein de pensées qui s’accumulent et attendent. La plupart des gens réfléchissent peu, hélas, moi aussi. On fait énormément de choses sans réfléchir, en n’y pensant que plus tard, souvent il arrive que je ne sais pas pourquoi j’ai agi ainsi et pas autrement.

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