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Trop tard pour les regrets

27 novembre 1949

Je continue mon journal que je commencerai avec un long retour arrière. Jusqu’à ce que je le finisse, jusqu’à ce que j’arrive aux choses d’aujourd’hui, beaucoup de temps se passera. Mais quand même, pour voir plus clairement ma vie je ferai cette auto-analyse.

Je suis hongroise. Je suis juive. Je suis roumaine. Á un moment donné, je ne savais plus ce que j’étais, et je me disais: je suis 1/3 hongroise, 1/4 juive 1/8 roumaine, 1/8 soviétique et 1/8 tous les autres. J’expliquerai plus tard comment je suis devenue tout cela. C’est un de mes grands problèmes, dont je ne m’occupe pas en ce moment, parce que j’ai plein d’autres choses à faire et à penser. Je me le rappelle seulement de temps en temps. Ce que je viens d’écrire est juste une parenthèse. Je commence déjà la suite.

Donc mes parents (comme je l’ai appris plus tard), comme ils voyaient que l’on commence à persécuter les juifs, se sont fait baptiser. Sans qu’aucun soit croyant depuis longtemps.

Maintenant, avant d’arriver à l’époque de 1940 à 1944, j’écris encore sur ce dont je me souviens d’avant.

Chaque été nous allions chez les deux grands-parents; les uns après les autres. Les parents de maman, Sidonie et Emil habitaient à Kolozsvàr. Ils avaient un beau pavillon sur la Colline des Nuages, j’habitais là. Ils avaient un grand jardin et je ne connaissais rien d’autre de la ville que celà et toute la famille qui se rassemblait là. Les autres grands parents, ceux de papa, habitaient à Commando (plus haut que Kovàszna). De là je me souviens d’une petite cour où nous jouions avec ma cousine Magdie. Après Bucarest bien sûr le village boueux me paraissait curieux (il ne me parut pas petit puisque j’étais encore plus petite moi-même.)

Avant 1940, je crois que nous étions à Kolozsvàr, c’est alors qu’arriva la « récupération ». La joie tout autour, la ville décorée me plaisait. Je voulais à tout prix avoir moi aussi un drapeau à agiter. Papa l’a acheté et j’étais ravie. Nous sommes allés chez Hugo (l’oncle aîné de maman) et je suis sortie sur la terrasse qui regardait sur la rue, les soldats hongrois défilaient justement sur des motocyclettes et j’ai agité le drapeau jusqu’à ce qu’il tombe. J’étais énormément attristée. (Le fils d’un oncle de maman était parti accueillir les soldats.) J’avais pitié des soldats, on ne les laissait pas avancer tellement on les embrassait.

Ainsi commencèrent mes années sous Horthy. Nous avons emménagé au 4, rue Tür Istvàn, nous y étions jusqu’en mars 1944.

On peut dire de ces quatre ans : d’un côté était l’école qu’on peut appeler presque fasciste faisant tout pour me tourner la tête - et à l’époque c’était la plus forte – de l’autre côté maman essayant de mettre les choses en perspective.

(Je constate que je n’ai pas fini bien que j’aie écrit beaucoup. J’entrerai dans le sujet la prochaine fois. J’ai mal aux mains maintenant.)

3 décembre,1949On sait mieux ce qui arrive quand les événements sont encore frais et on arrive à mieux les exprimer. Même si je ne décris pas les choses aussi objectivement tout de suite qu’en me les rappelant, à côté de ma biographie, Toujours, tout à fait sincèrement et non pas comme, disons, j’aurais voulu qu’elles se soient passées. Tout aurait été mieux si j’étais née enfant d'ouvriers ou au moins dans une famille communiste ! J’envie ceux qui ont travaillé dans l’illégalité, la résistance avant ou pendant la guerre.

Aujourd’hui j’étais voir pour la deuxième fois “L’enseignante héroïque de Satri”, je l’ai aimé ce film encore mieux que la première fois. Je l’ai ressenti très fortement et tout en ayant honte, les larmes coulèrent de mes yeux. Je n’oublierai jamais l’image de la jeune enseignante héroïque, Zoja pendue. J’aurais très honte si au même âge qu'elle en regardant en arrière je n’avais rien fait de spécial pour aider les autres.

J’ai beaucoup appris de ce film, mais j'ai appris davantage de “l’Histoire d’un homme véritable” réalisé d'après le roman de Polevoï. J’y ai appris combien la volonté est précieuse. Depuis, je me demande à chaque occasion : ai-je assez de volonté pour vaincre mes faiblesses ? Je pense que c’est une bonne méthode. Souvent la paresse me gagne, ma conscience me fait mal. Quelquefois (mais je vais le surmonter), il m’arrive que tout en sachant que ce que je fais est mal, je n'arrive pas à m’arrêter. C’est tellement bon d’arriver à s’estimer (mais pas trop). Depuis ce film, je vois plus clairement, surtout dans mes problèmes. J’en ai énormément, mais j’en parlerai avec le temps.*

Je commence maintenant la description de la suite sur le passé.

Mes parents faisaient partie d’une couche supérieure de la petite bourgeoisie, ce qui m’avantagea à l’école communale, mais pas autant qu’Anna, la fille de docteur chef qui était très belle en plus.

Je me souviens que nous étions sur le même banc avec Magdie Weiss, plus tard appelée « Judith », elle était ma meilleure amie, ma seule amie pendant les trois ans et demi d’école. Nous nous disputions sans cesse et nous réconciliions rapidement, nous jouions souvent chez elle, des fois chez moi, nous nous amusions chaque jour. Son père, Joseph disait plein de blagues, il était bossu. Je n’aimais pas trop sa mère Marie qui la battait.

J’étais gâtée davantage. Je me souviens, qu’en revenant de la maison après mon premier certificat, contre les protestations de ma mère, papa m’a donné un sou pour que je ne m’attriste pas d’un 3 et de quelques 2 que j’avais obtenus à côté des 1 qui était la meilleur note.

Magdie et moi, nous promenions souvent nos poupées sur notre rue (j’habitais le 4 et elle au 36.) Mais si je devais décrire tout ce dont je me souviens de ces quatre ans, ce serait trop, je me rappelle pas mal et probablement même des choses sans aucun intérêt.

Je me souviens qu’à l’école, on nous faisait peur des « rouges » et que l’institutrice battait ceux qui avaient des poux. Ève, une camarade de classe s’est moquée une fois de Magdie « juive » et une autre fois nous a fait frapper Zeni, la roumaine. Finalement, nous nous sommes unies, Magdie, Zeni et moi, nous avons pourchassé Ève après l’école et jamais plus nous n’avons joué avec elle. Zeni, quand on lui avait demandé quelle religion elle avait, elle avait répondu « roumain », ne voulant pas croire qu’orthodoxe c’était différent.

Je me souviens qu’en se battant une fois avec moi, Magdie m’avait bousculée et je l’avais frappée avec une pantoufle. J’avais fais semblant de pleurer, mais nous nous sommes réconciliées rapidement, comme d’habitude. J’ai l’impression que j’aurais voulu la dominer. J’étais heureuse que ses parents étaient plus pauvres et que j’avais reçu plus de bonbons qu’elle pour Saint Nicolas, j’étais horrible. Comme je voudrais que cela ne soit pas vrai, combien il me fait mal d’écrire cela. Mais… je j’arrive plus à continuer.

On voit de tout ce que je viens d’écrire qu’on doit bien réfléchir, toujours à ce qu’on fait. Ensuite, c’est trop tard pour avoir des regrets et ils ne comptent pas!
Il a fallu cinquante ans pour que la culpabilité ressentie depuis sa disparition, envers Magdie partie en fumée,soit soulagée. Tout me faisait mal à l’époque et comme je ne pouvais écrire sur le présent, maman me conseilla le passé.

Il a fallu 50 ans pour qu’une nuit je me réveille en me rappelant : même si une fois mes pensées n’étaient pas belles au sujet de nos moyens, c’était justifié par le comportement pendant ce St Nicolas des parents de Magdie (en cachant les bonbons, que je le savais, maman m’avait achetés avant de partir en vacances avec papa). En plus, je me suis rappelé que pendant deux ans je suis allée la chercher, j’ai pris sa main et je l’ai conduite à l’école : arrivant d’un petit village, elle avait peur d’y aller seule,. J’avais tout fait pour qu’elle s’acclimate et se sente à l’aise.

* Et pour l'arrestation de papa au milieu de la nuit, je n'étais responsable non plus en aucune façon. Il nous reste toutefois des culpabilités qu'on traine avec nous tout la vie.

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