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La douche

Je m’en souviens… écrit en 2002
La douche

Quelques mois après la deuxième guerre mondiale, Julie pourtant en général sage, d’un jour à l’autre, refuse de prendre une douche. La douche use beaucoup moins d’eau chaude que le bain, nous n’avons pu nous procurer assez de bois, dit sa mère.

— Je me baignerai dans peu d’eau, maman.

Plus tard, sa mère se rend compte que sa fille ne ferme pas la porte de la salle de bains et quand elle ferme la porte bientôt, elle la trouve rouverte.

— Ça ne se fait pas, ma chérie, tu vas être bientôt une petite demoiselle.
— Papa n’est pas à la maison, il n’y a personne qui pourrait me voir.
— Il faut t’habituer à fermer la porte de la salle de bains quand tu es déshabillée.

Et pourquoi ne veut-elle pas se mettre complètement nue ? se demande sa mère d’un coup.

— Je veux conserver juste quelque chose sur moi.
— T’as honte ?
— Non.
— Alors ?

Silence.

— Mon collier ça va ? Je te le passe, voilà.
— Oui, oui, pourvu qu’il reste quelque chose sur moi.

Un jour, finalement Juliette s’exclame :
— J’ai peur !
— De quoi ?
— De mourir.

Après un silence, elle ajoute.
— Mourir sous la douche, nue, sans rien sur moi ! Enfermée.

Encore du silence.
— Comme ma cousine jamais revenue d’Auschwitz. Je ne veux pas mourir comme elle enfermée dans une pièce toute nue !!! J’ai entendu...

— Quoi ?
— Qu’on leur a dit qu’ils prendraient une douche. Comme Magdie, grand-mère et ma tante. Et puis…
— Je comprends, Julika. Tu ne dois pas avoir peur maintenant, pas ici. Mais demain on va faire couler le bain, un petit bain si tu veux.
— Merci, maman.

Très longtemps, elle évita de prendre une douche, de fermer une pièce ou de se déshabiller tout à fait. Il fallait avoir au moins une mince chaînette d’or autour de cou. Mes parents lui en offrirent une qui ne la quitta plus.
Et elle porta cette chaînette pendant des longues années, jusqu'à ce que à la sortie de la Roumanie communiste, un officier de securitate lui demande de l'enlever et le laisser, avant d'emigrer, mais de cela, j'ai écrit dans mon autre journal, ou justement, je viens de dépasser déjà cette épisode.

Mais au fil des jours, souvenez-vous seulement, que pendant que je me plains d'une chose ou autre dans cette journal de jeunesse, la chaînette est toujours autour de mon cou pour ne pas aller sous une douche tout nue, comme ma cousine qui n'en ai pas sortie.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

je découvre ce blog aujourd'hui ... je reviendrai, c'est trop passionnant.
biz

Anonyme a dit…

On peut comprendre ! ET tu as du beaucoup souffrir de perdre ta meilleure amie. Et d'avoir peur que cela t'arrive aussi. A cet age là, les enfants se bloquent sur des "détails" mais au moins, ta Maman t'a bien comprise ....c'est important.
Cela devait être lourd pour une si petite fille.

sophos