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Résister, persister 1947

2 janvier 1947

Je n’ai pas pu écrire de nouveau pendant fort longtemps, j’étais trop occupée. Pourtant, tant de choses sont arrivées. Mais décrivons ce Noël maintenant.

Nous avons allumé l'arbre de Noël à 7 heures et demie. J'ai reçu beaucoup de cadeaux! Des skis, un jeu de ping-pong, un mouchoir en mousseline, un pantalon chaud, une très jolie assiette de porcelaine et un merveilleux, énorme arbre de Noël. Édith m'a offert le Livre de la Jungle. Ève, la cousine de maman, le Journal de Marie Bashkirtseff (ennuyeux), et ma tante m’a acheté un livre qui n'est pas du tout pour moi - mais aussi un petit nain de mur rigolo. C'est énorme, n'est-ce pas?

C'est la troisième fois que je décris dans mon journal mes cadeaux de Noël, il est possible que je n'aie plus de place pour la quatrième. Pour la nouvelle année j'ai reçu une orange, hélas c’était très âcre. Je m’arrête, car j'ai faim.

2 Avril 1947

J'ai réussi à faire un fantastique poisson d’Avril à maman et à papa !!!

La bonne m'a réveillée à 6 heures et j'ai changé toutes les montres, en les avançant d’une heure. Alors j’ai réveillé mes parents. Comme maman se dépêchait! Papa aussi! Et quand maman a été sur le point de partir au travail, j'ai glissé une petite note dans sa main: "demande l'heure" - et il était seulement 7 heures, maman croyait qu'il était déjà 8 heures !

On nous donne énormément de devoirs, mais j'espère que j’aurai au moins une moyenne de 15 comme au premier semestre.

J'ai des problèmes avec la répétition de “Pays des princesses” la pièce que j’ai écrite pendant l’été - mes copines ne veulent pas venir régulièrement pour bien l'apprendre. Je suis fâchée contre Édith la princesse (elle n’arrive pas à apprendre son texte). Je voudrais tellement devenir connue! Journaliste, sportive, danseuse, actrice, chimiste, même l'intérieur de la montre m’intéresse.

2 Août 1947

Je viens de rentrer de mes vacances. J'ai été au même endroit que l’année dernière, mais cette fois-ci je m’y suis sentie mal.



Rester, persister

Souvenir

J’avais douze ans et c’était la deuxième fois que j’allais dans la même colonie de vacances privée avec quelques filles des amies de maman.

Elle était dirigée par l’amie autrichienne de maman m’ayant fait découvrir Bibi de Michaelis. Une amie à elle était la propriétaire de la maison où nous habitions et aussi la cuisinière, fort bonne.

C’était dans la campagne, un village avec piscine, un bois avec une source, lieu d’excursion. Une aile pour filles, une pour les garçons. Trois enfants par chambre, à partir de six ans, 9 filles en tout.

Cette année aussi, j’étais dans la même pièce que Vera, devenue ma copine, elle avait deux ans de moins que moi, et Edith, la belle et capricieuse, de quatre ans plus jeune. L’année d’avant, nous nous étions bien entendues, mais cette année-là elle était devenue insupportable.

« Ne touche pas à ça ! Ne fais pas ça ! Je veux », disait Edith, puis elle touchait à tout ce qui était à moi.

Je ne savais pas à l’époque qu’on lui passait tout parce que le nouveau mari (ancien communiste quand c’était encore illégal) de la mère d’Edith était devenu Secrétaire du Parti Communiste en Transylvanie. Le plus important donc de toute la province à l’époque. La fillette ne pouvait donc avoir tort. On me disait « parce qu’Edith est plus petite. » Plus tard, hélas, il devint l’adjoint du Luca, Ministre des Finances(1)

Un jour, les garçons ont ri de nous à la piscine et le soir ils sont venus sous nos fenêtres chanter une sérénade, bien sûr pour elle seulement, elle la belle. Furax, nous avons pris un verre d’eau et l’avons versé par la fenêtre. Après, ils nous évitaient quand on se croisait sur la rue.

Edith se plaignait de moi et plusieurs fois la monitrice lui donna raison. À tort, une fois, deux fois, trois fois. Finalement, j’en ai eu marre, je ne voulais plus rester là, je voulais retourner à la maison. Là, on m’aimait, on ne m’accusait pas à tort. J’écrivis une lettre à mes parents « Ici, c’est impossible, venez me prendre. »

Ils m’appellent : « nous arrivons dimanche, ne pleure pas. »

Dimanche arriva. Mes parents aussi. Ils m’emmenèrent chez le pâtissier de village. J’éclate et raconte les injustices subies. Et le fait que la monitrice ne veut pas me changer de chambre, ni me donner raison et que c’était toujours moi, accusée à cause de cette petite peste d’Edith, à tort. Et que maintenant, même Vera a commencé à prendre son parti.

Je veux partir, retourner avec eux !

- Bien, répondit maman, tu peux.

- Viens te promener avec moi dans la forêt, dit papa.

- Je te montrerai la source, dis-je avec plaisir. Et toi, maman ?

- Allez-y, on se rencontre à la colonie.

Nous sommes partis nous balader.

Je ne me souviens plus bien des arguments de mon père, le fait est qu’il réussit pendant notre promenade à me convaincre de l’importance de persister malgré l’adversité et les difficultés, ne pas me laisser faire, ne pas reculer. Serrer les dents et attendre mon heure, lutter et non pas renoncer.

Profiter du reste des vacances en plein malgré la petite peste.

« Il n’y a plus que huit jours et les vacances sont finies. Tu peux revenir avec nous, mais ce serait vraiment mieux si tu ne recules pas, ne te laisse pas vaincre, résiste, reste ! dit mon père. »

Revenue chez notre logeuse, maman nous attend.

- Alors ?

- Alors, quoi ?

- Qu’as-tu décidé, demanda maman. Tu viens avec nous ?

- Non, je reste.

- Je t’avais dit, dit papa avec un grand sourire. C’est ma fille !

Ils partirent.

Je ne me souviens pas de ce qui se passa ensuite pendant mes vacances, sauf que j’écrivis un journal mural et que même s’ils ne furent pas excellents, la reste de mes vacances ne fut pas tout amère non plus. J’ignorais Edith et au lieu de pleurer, je lisais et nageais. J’attendis patiemment ou impatiemment de rentrer, d’être de nouveau choyée par maman.

À la rentrée, papa m’attendait avec deux cadeaux : un sac et une valise. Il avait parié avec maman qu’il réussirait à me convaincre de rester, ne pas abandonner. C’était les récompenses au cas où il réussirait, au cas où tout en serrant les dents je persisterais.

Ma mère tira d’autres conclusions de l’histoire. Alors, sa fille est assez grande et elle ne doit plus être choyée. Oh, comme cela me manquait par la suite ! Être considérée à 13 ans comme grande et responsable, n’était pas à mon goût. Il a fallu longtemps pour que je ne regrette pas d’avoir donné raison à ma mère, surtout de n’être plus considérée comme la petite fille de la maison. D’avoir persisté malgré les difficultés.

Aujourd’hui, je me rends compte combien je dois aux deux parents. Ce fut un grand pas vers mon devenir adulte, pour me débrouiller plus tard dans la vie sans m’enfuir. Apprendre à serrer le dents et persister.



Hélas, cela lui fut néfaste par la suite.


1 commentaire:

Anonyme a dit…

tu as eu des parents qui ont su te transmettre des valeurs qui te font aujourd'hui ;-)
C'est important ....
c'est ce que l'on essaie de transmettre à nos enfants ;-)
Sophos